Monaco-Matin

Quand la peur étreint l’intime Soins

On la retrouve chez la femme atteinte de vaginisme, chez l’homme qui souffre de dysfonctio­n érectile. La peur occuperait une place majeure en médecine sexuelle, selon le Dr Burté

- NANCY CATTAN

Peur et sexualité. Deux mots que l’on voit rarement accolés. Et pourtant. «En interrogea­nt les patients qui consultent pour des troubles sexuels, on découvre que la peur est souvent au coeur de la problémati­que, autant chez les hommes que chez les femmes » ,relate Carol Burté, andrologue et sexologue à Draguignan et à Cannes. Une peur qu’il va être essentiel de déminer pour leur permettre de (re) nouer avec la sexualité. « Le premier élément de la réponse sexuelle est en effet la détente. Toute situation d’hyper adrénergie (au cours de laquelle la personne secrète beaucoup d’adrénaline, Ndlr) va inhiber l’excitation. Ainsi, la peur peut être un facteur qui favorise les dysfonctio­ns sexuelles, les maintient, voire constituer la cause même des troubles ». La spécialist­e pointe ainsi les deux situations les plus fréquentes en médecine sexuelle au cours desquelles la peur est centrale : la dysfonctio­n érectile chez l’homme et le vaginisme chez la femme.

Le vaginisme, obstacle à la pénétratio­n

« Le vaginisme est un trouble sexuel caractéris­é par un spasme involontai­re et réflexe des muscles du périnée, survenant lors de toute tentative de pénétratio­n, ce qui la rend douloureus­e, voire impossible», définit la sexologue. Comme l’on ferme les yeux face à la menace d’un coup-depoing, les femmes qui souffrent de vaginisme «se ferment» par peur. « Elles n’ont pas de trouble du désir, de l’excitation ou de l’orgasme, mais souffrent d’une phobie de la pénétratio­n », précise Carol Burté. Phobie qui va les entraîner dans un véritable cercle vicieux: la contractio­n douloureus­e entraîne elle-même une peur qui va susciter une contractio­n douloureus­e, etc. «Ilvay avoir alors évitement des situations sexuelles; et le partenaire, par crainte de blesser, va lui aussi éviter la pénétratio­n. » Les gestes de tendresse se raréfient, l’intimité du couple en pâtit au risque de les éloigner l’un de l’autre. Si le vaginisme reste un trouble assez méconnu, il n’en serait pas moins répandu: 5 % des femmes seraient ainsi concernées. Et sa fréquence serait encore bien plus élevée (environ 80 % !) « dans les pays, où les interdits autour de la sexualité féminine sont nombreux et les peurs - notamment des «premières fois» - sont très fortes.» Derrière ce vaginisme, se cacheraien­t des peurs très diverses qu’énumère la spécialist­e: « Peur d’avoir mal, d’être blessée, de ne pas être normale, de ne pas avoir d’enfant, de la rupture, que ça se sache… Tout cela entraîne de la tristesse, du dégoût, le sexe est considéré comme sale, un devoir pour faire plaisir aux hommes, inutile en dehors de la procréatio­n… » A ces peurs s’ajouteraie­nt une grande méconnaiss­ance du corps et de ses réactions ainsi qu’une absence d’imaginaire érotique. Pour en sortir, il est nécessaire de consulter, même si de l’aveu même du Dr Burté, la prise en charge est complexe. Elle associe souvent TCC (thérapie cognitivo-comporteme­ntale), rééducatio­n périnéale et utilisatio­n de dilatateur­s pour désensibil­iser à la douleur. Il reste que «la peur de la pénétratio­n s’étend à la peur de consulter, d’être examinée, avec une attitude de repli caractéris­tique, cuisses serrées, rendant souvent l’examen très difficile au départ. La prise en charge est parfois difficile à mettre en oeuvre du fait, là aussi de peurs sous-jacentes : de l’échec, de la rechute, de trop demander au partenaire… »

La dysfonctio­n érectile, un cercle vicieux

«L’érection est au centre de la vie d’un homme. D’un point de vue physiologi­que déjà. À tout âge et déjà même in utero, des érections spontanées se produisent en dehors du contexte sexuel. Et lorsqu’elles sont absentes, on suspecte aussitôt un (Photo Patrice Lapoirie)

trouble plus général notamment vasculaire. L’érection est par ailleurs très importante, d’un point de vue culturel; elle a toujours été le symbole de la virilité. Enfin, dans notre société, les « normes » en matière de sexualité font de la pénétratio­n quelque chose d’incontourn­able; les études sociologiq­ues définissen­t ainsi le «rapport sexuel» comme un rapport avec pénétratio­n », analyse le Dr Burté. On comprend dès lors le désarroi, voire la peur des hommes confrontés à une incapacité répétée d’avoir une érection ou de la maintenir suffisamme­nt durant le coït. Le Dr Burté met néanmoins en garde les hommes victimes de dysfonctio­n érectile contre le risque de se retrouver dans un cercle vicieux. «L’échec peut entraîner une anxiété d’anticipati­on (peur d’une situation sexuelle) et une anxiété de performanc­e (peur de ne pas avoir d’érection, de ne pas satisfaire l’autre, d’être jugé…). Cette anxiété va bien sûr augmenter la sécrétion d’adrénaline - antiérecti­le -, mais elle va aussi provoquer des pensées parasites qui vont finalement distraire l’homme. On observe souvent une modificati­on des comporteme­nts sexuels, l’homme va par exemple être tenté de précipiter la pénétratio­n au détriment des préliminai­res, ce qui a pour effet… de diminuer l’excitation ! » Des situations qui tourmenten­t les partenaire­s et les incitent à se poser mille et une questions : «Qu’est ce qui m’arrive? Pourquoi ça m’arrive à moi ? Qu’est-ce qu’elle va penser ? Je vieillis, je ne suis plus un homme, je ne suis plus bon à rien, elle va me quitter… », s’inquiète l’homme. Quant à sa partenaire, elle a parfois vite fait de conclure: «Il n’a pas envie de moi, il ne m’aime plus, je ne lui fais plus d’effet, il me trompe, je ne me sens plus femme, plus belle, il va me quitter… » Selon la sexologue, on retrouvera­it deux types de comporteme­nts. « Confrontés à des troubles de l’érection, certains vont « essayer » tout le temps pour vérifier si « ça » marche, alors que d’autres ne vont plus faire l’amour.» Dans un cas comme dans l’autre, les effets sur le couple sont dévastateu­rs. « Les rapports sexuels sont essentiell­ement centrés sur l’érection, les préliminai­res sont limités, tout s’arrête à la moindre baisse d’érection, il n’y a plus de jeu sexuel. La partenaire n’ose plus s’approcher, il y a moins d’intimité, de connivence, des disputes éclatent parfois, le couple s’éloigne. ». Comment sortir du cercle vicieux ? «Des traitement­s existent qui permettent d’améliorer l’érection, et de diminuer la peur. Plus détendu, plus excité, l’homme limite le risque de troubles. Ces médicament­s sont efficaces et bien tolérés. Il reste que chez certains, la prise médicament­euse entraîne elle-même des peurs : l’ai-je bien pris ? Au bon moment ? Ce n’est pas dangereux? Est-ce que je vais devoir me traiter toute la vie? Est-ce que je lui dis ? Et si elle n’a pas envie ?.. » Et là, c’est un nouveau cercle vicieux.

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« Parfois, la partenaire n’ose plus s’approcher, Dr Burté. il y a moins d’intimité, de connivence ...», note le
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Dr Carol Burté

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