Ilyaans Mai secouait la Côte d’Azur
Étudiants, salariés, cinéastes : de Nice à Cannes, le plus grand mouvement social du XXe siècle a marqué les esprits. Retour sur les faits marquants et décryptage de ce printemps historique
« On l’appelait “le Quartier lapin”. La chasse était ouverte, hein… La formule, c’était : “Rien ne sert de partir à point, il vaut mieux courir !” » Difficile de réprimer un sourire attendri, quand on écoute Coluche brosser ce portrait satirique des «zévén’ments» de Mai 68. Portrait parisien, forcément. Car c’est bien Paris, ses étudiants, ses usines, ses pavés, sa Sorbonne et son Quartier latin, qui incarnent le mouvement social le plus marquant du XXe siècle en France. Pourtant, alors que se multiplient reportages et hors-série dédiés à ce printemps historique, la Côte d’Azur n’est pas avare de souvenirs. Loin de là. D’accord, «il y a une disparité entre le Mai 68 parisien et la réalité en province, plus limitée », pose en préambule l’historien Yvan Gastaut. Mais ce maître de conférences à l’université de Nice-Sophia Antipolis, chroniqueur régulier dans nos colonnes, se montre intarissable dès lors qu’il s’agit d’évoquer Mai 68 sur la Côte d’Azur. Ses racines. Ses enjeux. Ses acteurs. Ses temps forts. Ses paradoxes. Ses espoirs magnifiques et ses rêves parfois brisés.
De l’international au local
L’université azuréenne en est le témoin vivant. Et sa faculté des lettres, le symbole. C’est là, dans la fièvre des assemblées générales en amphi, qu’ont germé les « Événements ». Grâce à un terreau fertile aux sources multiples. «Ce n’est pas une révolution tombée du ciel, insiste Yvan Gastaut. Les jeunes se posent la question de l’avenir, du rapport aux parents, aux enseignants, aux politiques… Tout cela dans un contexte international marqué par la guerre au Vietnam, le petit livre rouge de Mao, la mort de Martin Luther King… À Nice, on est alors aux débuts de l’ère Jacques Médecin, loin d’être gauchiste mais aussi anti-gaulliste. Mai 68 est intéressant pour cette corrélation entre local et international.» Logiquement, la capitale azuréenne concentre l’essentiel de l’action. Mais en ce printemps-là, toutes les Alpes-Maritimes sont touchées. Après les manifestations monstres du 13 mai, la contagion se propage à toutes les strates de la société à une vitesse fulgurante, alors que les smartphones et Facebook n’existaient pas. Tant et si bien que le département se retrouve paralysé. Même le Festival de Cannes en est réduit à éteindre ses projecteurs plus tôt que prévu.
-, la convergence?
Étudiants, travailleurs: même époque, mais pas le même combat. En 1968, « un chapelet de revendications convergent sans jamais vraiment se rejoindre. Cette convergence des luttes restera à l’état de tentative non aboutie », analyse Yvan Gastaut. Convergence. Le terme revient avec insistance en ce printemps 2018, qui a vu le blocage des facs et la grève des cheminots. «À chaque mouvement social, on a tendance à faire référence à cette matrice. Mais le contexte a totalement changé, tempère l’historien niçois. Dépolitisation, droit au rêve affadi… Le mouvement actuel souffre de la comparaison avec celui de mai-juin 68, que l’on a tendance à idéaliser. » Au final, Mai 68 fut contestataire. Hédoniste. Romantique. Utopiste. Mais dans cette aspiration soudaine à changer la société et le monde, il y eut, aussi, « une part d’irrationnel. Mai 68, personne ne l’avait vraiment vu venir… »