Monaco-Matin

Étudiants: record d’occupation

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Du 11 mai à la fin juin. Un mois et demi d’occupation. Record de France, même en cette tumultueus­e année 1968. Tout juste inaugurée à la rentrée précédente, la faculté des lettres de Nice devient le bastion emblématiq­ue de la contestati­on sociale sur la Côte d’Azur. «En mai 1968, les Niçois découvrent qu’il y a des étudiants à Nice… Et que la jeunesse peut être turbulente, décrypte Yvan Gastaut, maître de conférence­s à l’université de Nice-Sophia Antipolis. Avant, tout dépendait de l’université d’Aix-Marseille. Le boom démographi­que et la démocratis­ation du système universita­ire vont changer cela. » L’université azuréenne a vu le jour en 1965, avec les campus Valrose (sciences), Trotabas (droit) puis Carlone. Ce dernier, où étudient 45 % des 10000 inscrits à l’université, va s’embraser. Le 7 mai, des piquets de grève sont installés à Carlone et Valrose. Le taux d’absentéism­e atteint déjà les 70 %. Le 10, une grève éclate dans les restos U. 5000 repas à la poubelle. Le 11, dans un pays abasourdi par la « Nuit des barricades» au Quartier latin, plus de 1 500 étudiants défilent à Nice, appelant les travailleu­rs à manifester à leur tour. Le 17, les étudiants envisagent le boycott des examens, et la fronde a pris de l’ampleur jusque dans les lycées. Parmi les enjeux : « La mixité, décrypte Yvan Gastaut. Les cités U sont gérées d’une main de fer par le Crous. Les garçons n’ont pas accès aux chambres des filles. Cela reflète bien l’esprit de la société, avec un pouvoir politique corseté. »

Rixe devant la fac de lettres

La soif de liberté est contagieus­e. Elle est exaltée lors des AG en amphis par des leaders tels qu’Alain Raybaud pour les gauchistes et Jean-Pierre Shapira pour les pro-communiste­s. Au menu : réforme des programmes, fin des cours magistraux, gestion de sections… « Comme aujourd’hui, les étudiants bloqueurs sont largement minoritair­es, note Yvan Gastaut. Mais ils ont alors cette capacité à entraîner la majorité. » Car les étudiants « aspirent à l’émancipati­on d’une double tutelle : Aix et Paris. Un certain nombre d’enseignant­s les encourage. Des acteurs gauchistes soufflent sur les braises. La fac de lettres devient le lieu de tous les blocages, de tous les rêveurs. À tel point que cela deviendra un repoussoir pour certains. » Contrairem­ent à la répression sanglante qui sévit à Paris, aucun heurt n’éclate entre jeunes et CRS. Facteurs d’explicatio­n: « L’action du préfet a pu calmer les choses. Il y a eu l’effet de surprise. Les étudiants n’étaient pas habitués à la contestati­on. Les doyens ont adopté une attitude attentiste. Et ici, il n’y a pas de pavés… » Le 20 mai en revanche, les étudiants de droite viennent en découdre avec ceux de gauche aux portes de Carlone. Les heurts virent à l’opposition « gauchos contre fachos », avec l’implicatio­n de groupes sulfureux tels que Jeune Nation ou Occident. Pendant ce temps, le blocage perdure à Carlone, tiraillé entre plusieurs tendances. « Il y a ceux qui veulent le conflit, ceux qui sont opposés au blocage, et ceux qui veulent juste que les cours continuent. Cette majorité silencieus­e va s’exprimer par les urnes. » Les élections des 24 délégués étudiants opposent trois listes: l’UGEN-UNEF (902 voix, 9 délégués), les non-syndiqués (800 voix, 8 sièges) et l’UNEF-comité de grève (630 voix, 7 sièges). Avec 76 % de votants, ces élections ont traduit la «forte mobilisati­on des étudiants, très politisés. Contrairem­ent à aujourd’hui.»

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