Est-ce que les femmes minimisent leurs douleurs ?
Les dames accepteraient-elles davantage de souffrir parce qu’elles considèrent cela normal? Écoute-t-on moins une patiente qu’un patient? Réflexions avec le Dr Renaud Ferrier
Les femmes sont-elles plus résistantes à la douleur ? Estce que les médecins les écoutent moins? On entend parfois dire que la souffrance féminine serait minimisée, qu’en est-il réellement ? Le Dr Renaud Ferrier, médecin généraliste et président de l’URPS médecins libéraux Paca, qui a suivi une formation à la douleur, apporte son éclairage sur ce sujet complexe. « La douleur ressentie dépend déjà du profil de l’individu, quel qu’il soit. Typiquement, certaines personnes sont plus sensibles à la douleur que d’autres. Mais la tolérance que l’on a dépend aussi du type d’agression physique qui engendre cette souffrance. Elle sera ainsi différemment perçue s’il s’agit d’une situation à connotation positive – comme un accouchement – ou d’un événement forcément perçue plus négativement, comme un cancer. L’angoisse de mort joue sur le ressenti. » Le cas de l’accouchement cité par le Dr Ferrier est typique : si la douleur est bien réelle, la femme se trouve dans un état d’esprit particulier puisqu’elle s’apprête à donner naissance à son enfant ; elle sait que cette douleur va s’achever quelques heures plus
tard (même si ces heures peuvent sembler très longues). À l’inverse, la douleur sourde et profonde de la personne souffrant d’une maladie chronique ou non diagnostiquée peut être plus difficile à accepter. « Nous sommes tous naturellement plus enclins à “accepter” (Photo d’archives P. L.)
certaines douleurs considérées comme normales ou comme un passage obligé ».
Enfanter forcément dans la douleur ?
Au-delà de l’aspect psychique, il y aurait aussi des déterminants culturels. «Certaines douleurs sont ancrées dans la tête de nombreuses femmes. C’est typiquement le cas de l’accouchement et du “Tu enfanteras dans la douleur”, mais aussi des migraines et maux de ventre liés aux menstruations. Beaucoup de femmes, d’une part, s’y habituent, et donc ne s’en plaignent plus ; et, d’autre part, considèrent que c’est normal, et qu’il n’y a donc pas lieu de se plaindre. Alors qu’il serait légitime de consulter un médecin pour ce motif. Elles ont le droit de chercher des solutions pour ne plus souffrir. » Cette espèce de résilience aurait un caractère presque anthropologique. « On considère que telle ou telle douleur fait partie de la condition de femme. Finalement, ce n’est pas qu’elles n’osent pas en parler à leur médecin, c’est plutôt qu’elles n’y songent pas, en pratiquant une forme d’autocensure », analyse le Dr Renaud Ferrier. L’état d’esprit influence grandement la sensation de douleur. Le médecin remarque ainsi que «les personnes fragiles psychiquement sont moins enclines à supporter la douleur ». De là à affirmer que les femmes sont moins écoutées ou que leur douleur est moins prise en compte par le corps médical… « Au cours de notre formation, jamais on ne nous dit que la douleur des femmes est moins importante, réfute le Dr Ferrier. Peut-être y a-til des mécanismes inconscients qui expliquent que certains praticiens – quel que soit leur sexe – prennent moins en compte la souffrance féminine… Mais on n’a véritablement aucune certitude. Encore une fois, tout cela dépend des individus, de leur culture et de la manière dont ils vivent les choses. » S’il y a en revanche des choses que l’on sait précisément, c’est qu’hommes et femmes ne souffrent pas des mêmes maux. Il y a des particularismes hormonaux liés au sexe. Ainsi, les femmes peuvent souffrir de migraines lorsque le taux d’oestrogène chute au cours du cycle. Par définition, l’homme ne présentera pas ce genre de céphalées. Peu importe au final qu’hommes et femmes ne soient pas égaux devant la douleur, ou qu’ils ne l’appréhendent pas de la même manière… Il reste que chacun est fondé à s’en plaindre.