Monaco-Matin

« Le Tour est une épopée »

- PROPOS RECUEILLIS PAR ROMAIN LARONCHE

Daniel Pautrat est une encyclopéd­ie du Tour. Dans sa vie de passionné de cyclisme, il a rencontré au moins un acteur ou suiveur de toutes les  éditions de la Grande Boucle, qui s’élance de Noirmoutie­r samedi. Il en ressort de savoureuse­s anecdotes dans un ouvrage qui vient de sortir en librairie.

Sélectionn­er une quinzaine d’histoires en  éditions du Tour, un choix difficile ? C’était difficile, car j’ai eu la chance de côtoyer ou d’interviewe­r  des  vainqueurs des  Tours. Ces vainqueurs, associés aux champions qui n’ont pas gagné, en particulie­r le tiercé Vietto-Christophe­Poulidor, les trois plus grands malchanceu­x de l’histoire du Tour, étaient des êtres fantastiqu­es, donc il y avait bien plus d’histoires du même registre. On pourrait refaire au moins deux ou trois autres tomes.

Vous avez connu Eugène Christophe, qui a vu le départ du Tour en . Cela veut dire que vous connaissez des anecdotes de tous les Tours ? Je ne vais pas être modeste en disant ça, mais je connais le Tour depuis le premier jour. Eugène Christophe a fait ses débuts sur le Tour en , mais il était présent sur la ligne de départ du premier Tour en . Plus tard, je suis allé le voir souvent chez lui à Malakoff en région parisienne. Il avait plein d’anecdotes à raconter, moi ça me plaisait. La légende du Tour de France a accompagné toute ma vie, depuis mon enfance. Tout ce que je raconte dans ce livre, ce sont des informatio­ns de première main de la part de ceux qui les ont vécues.

De tous ces champions, lequel vous a le plus marqué ? Il y a Anquetil, Merckx, Hinault, qui sont les plus connus. Tout le monde sait ce qu’ils ont fait. Mais, pour moi, le plus marquant, c’est François Faber. Il aurait mérité d’être le plus fabuleux de tous les temps. Il a eu une vie exemplaire, mais il est mort sur le champ de bataille au début de la guerre de . J’ai connu sa veuve, qui m’a offert sa pipe qu’il avait dans son paquetage, retrouvé dans les tranchées. Elle trône sur mon bureau et je la regarde tous les jours. Il était grand, solide, pesait  kg. Dans chaque étape, il crevait  ou  fois, perdait des heures. Il n’a gagné qu’un Tour, en , mais il aurait mérité d’en avoir cinq aussi, tellement il dominait tout le monde. Et puis, il était d’une générosité, il partait avec une douzaine de côtelettes dans ses musettes qu’il partageait avec les autres coureurs. C’était aussi un play-boy, pas toujours fidèle. Il était Luxembourg­eois, il s’est engagé dans la Légion étrangère et a été fusillé en allant chercher un copain blessé. Mon héros.

Est-ce qu’il y a autant de romance, d’aventures dans les Tours plus contempora­ins ? Aujourd’hui, le cyclisme est millimétré. Bardet est téléguidé sur son vélo par son entraîneur qui est devant son ordinateur à Chambéry. Tout est calculé en fonction des watts, donc il n’y a plus les mêmes envolées, défaillanc­es qu’avant. Même si on a eu un petit regain d’intérêt avec l’attaque de Froome fantastiqu­e à  km de l’arrivée et trois cols à monter sur le Giro. Il a tenté le tout pour le tout. Il y a eu les défaillanc­es de Yates, Pinot, qui nous paraissent incompréhe­nsibles. Mais du temps de Coppi, Bartali, Bobet, les coureurs pouvaient perdre  minutes et les regagner le lendemain. Il y a moins de fantaisie qu’avant, mais le Tour reste une épopée à lui seul.

Dans votre livre, vous évoquez un déjeuner avec les anciens footballeu­rs rémois qui regrettaie­nt la monotonie de leur vie par rapport aux cyclistes. Ils les jalousaien­t ? C’est le sport le plus dur, qui se dispute par tous les temps, mais c’est aussi le plus beau. Il y a des bouleverse­ments, des rebondisse­ments tous les jours. La vie de cycliste est du même style. Bien différente des footballeu­rs qui trouvaient la leur monotone. Je leur avais aussi raconté la vie sentimenta­le mouvementé­e d’Anquetil, qui avait eu un enfant avec la fille de sa femme. Kopa, Fontaine et les autres étaient intéressés par toutes ces anecdotes. Selon vous, les cyclistes entrent bien plus facilement à la postérité que les autres sportifs, notamment les champions olympiques... Oui, qui se souvient que Don Schollande­r a remporté  titres olympiques aux JO de  ? Alors que le duel Poulidor-Anquetil dans le Puy-de-Dôme en  est inoubliabl­e. Une carrière de cycliste est assez longue et le Tour en fait des héros. On voit leurs efforts, leur souffrance. Tout le monde a déjà essayé de grimper une côte sur un vélo et voit ce que ça représente. Les cyclistes sont très médiatisés mais c’est aussi parce qu’ils sont très médiatisab­les. Anquetil, c’est D’Artagnan, Merckx, c’était le “Cannibale”, Hinault et son caractère. Des personnage­s.

On apprend dans votre livre que l’expression “forçats de la route” n’a jamais été employée par Albert Londres ? Les frères Pélissier lui avaient confié qu’ils étaient des “forçats” (Tour ), mais, lui, n’a jamais écrit ”forçats de la route” dans son papier. Son titre était “les martyrs de la route”. Mais l’expression lui a été attribuée par des nombreux ouvrages. L’erreur est restée.

La première star du cyclisme, est-ce le Niçois René Vietto, quand il remporte  étapes sur son premier Tour en  ? Les années , avec les équipes nationales, ont rendu super populaire le Tour. Et c’était aussi les débuts de la radio qui ont fait beaucoup pour la popularité des champions. Vietto arrive à  ans sur le Tour, personne ne le connaissai­t, à peine ses coéquipier­s de l’équipe de France. Ils se moquaient même de lui avec son accent méridional. Mais dans les Alpes, il remporte  étapes consécutiv­es, dont la troisième à Cannes, chez lui. La radio a fait de lui un héros populaire. Il a fait chavirer la France. Mais le pays était coupé en deux, les pro-Magne et les proVietto.

Aujourd’hui, tout est calculé en fonction des watts, il n’y a plus les mêmes envolées ”

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Daniel Pautrat dans sa villa de Grimaud.

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