Monaco-Matin

Tous unis contre l’expulsion d’une famille albanaise

La communauté se réunit autour de la famille accueillie en juillet 2017 et menacée de vendetta. Mère, père et trois enfants risquent de se retrouver à la rue après le rejet de leur demande d’asile

- ARIANNA POLETTI

Cinq années se sont écoulées depuis leur départ. Cinq longues années d’errance et de demandes d’asile échouées. « Après avoir quitté l’Albanie en 2013, nous avons traversé la mer Méditerran­ée, l’Italie, puis l’Allemagne », raconte A., l’air fatigué mais pas résigné. Ce jeune père de famille aux yeux brillants se souvient de chaque détail du voyage qui l’a conduit, avec sa femme et ses trois enfants, à Breil-sur-Roya. Dans cette commune frontalièr­e de deux mille habitants, la famille semblait enfin avoir trouvé un foyer. Tous les matins depuis un an, A. prend soin de son petit jardin potager. Le nom de sa fille aînée et sa photo figurent dans un article accroché au mur de sa maison : «Les collégiens méritants récompensé­s ! ». Le garçon, bon élève comme sa soeur, joue au foot dans l’équipe de la Roya. Son petit frère de 3 ans est inscrit à l’école maternelle pour la rentrée prochaine. Appréciés dans le village, tout comme les six autres familles accueillie­s à Breil en partenaria­t avec la Fondation ACTES, parents et enfants viennent de se voir déboutés de leur demande d’asile par la Commission de Recours des Réfugiés et Apatrides. Ce lundi, ils perdront le logement et le peu d’argent auquel ils avaient droit avec l’OFII.

« Ce n’est pas que je ne veux pas revenir, je ne peux pas »

Ils seront à la rue. Une situation intolérabl­e pour Gisèle Cottalorda, conseillèr­e municipale de Breilsur-Roya, en charge du Centre communal d’action sociale et présidente de l’associatio­n Soupe de nuit. « Tout le village les connaît et les apprécie. Ils ont une place ici, et nous sommes contents de les avoir, explique l’élue qui a pris leur situation à coeur. Ils ont été déboutés deux fois. C’est leur dernière chance, le dernier recours possible. Il faut tenter le tout pour le tout ! » La France considère l’Albanie comme un pays «sûr». Pour ses ressortiss­ants il est donc très difficile d’obtenir l’asile : seuls 6,5 % des demandeurs albanais l’ont obtenu en 2017 selon l’OFPRA. Mais André Ipert, maire de Breilsur-Roya, revient sur ce qu’il considère comme un cas particulie­r. « Il ne s’agit pas d’une problémati­que de migrants. C’est une problémati­que de danger dans le pays d’origine suite à des pratiques culturelle­s telles que la vendetta. Il y a un risque potentiel pour cette famille, explique le maire. J’aimerais bien qu’on rétudie le dossier à la lumière de cette situation particuliè­re »

Pas de « vulnérabil­ité particuliè­re » selon l’Etat

En effet, une menace pèse sur eux depuis qu’un oncle a tué par arme à feu deux personnes d’une même famille. L’oncle a été condamné à 20 ans de prison, mais les parents des victimes cherchent à se venger depuis des années. « C’est la loi du Kanun, un code coutumier remontant au XVe siècle et appliqué encore aujourd’hui, explique A., qui a été lui-même menacé de mort. Ce n’est pas que je ne veux pas revenir, je ne peux pas. Je crains pour mes enfants. » L’aide au retour volontaire leur a été proposé par l’Office français de l’immigratio­n et de l’intégratio­n, mais la famille a refusé. La préfecture des Alpes-Maritimes précise : « Il leur a été proposé dans la foulée de demeurer au CADA de Breil-sur-Roya jusqu’au 9 juillet, date à laquelle ils devront quitter les lieux, réservés aux demandeurs d’asile en cours de procédure. Les services de l’État n’ont par ailleurs pas connaissan­ce d’une vulnérabil­ité particuliè­re. »

« Ils ne sont pas là pour faire du tourisme»

Breil ne se résigne pas. La communauté se mobilise pour soutenir une famille que les habitants ne souhaitent pas voir partir. « Ils sont des gens intégrés dans la communauté. Nous sommes un petit village de montagne, tout le monde les connaît ! », témoignent les voisins. Certains professeur­s et le principal de l’école ont même signé des attestatio­ns pour prouver la bonne réussite scolaire des enfants. «Nous sommes reconnaiss­ants à la communauté de Breil qui nous soutient et nous aide», sourit A. Quand un mot en français ne lui vient pas à l’esprit, sa fille sert de traductric­e. Gisèle Cottalorda conserve soigneusem­ent tous ces documents. Elle aide la famille à collecter les papiers qui pourraient s’avérer utiles pour le dernier recours. Cette citoyenne engagée ne lâche pas : « Ils ne sont pas là à faire du tourisme. Ils ont un parcours de vie douloureux. Ils sont à Breil depuis un an et ils n’ont qu’une seule envie : rester. »

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(Photo Arianna Poletti) Gisèle Cottalorda discute avec la famille qui souhaite rester anonyme pour des questions de sécurité.

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