Monaco-Matin

La confiscati­on des fonds de Karim Wade refusée à l’État sénégalais

À l’instar des juges parisiens, la justice monégasque a refusé la confiscati­on des comptes bancaires du fils de l’ancien président du Sénégal, en conflit avec l’actuel dirigeant du pays

- JEAN-MARIE FIORUCCI

L’affaire, jugée mardi par le tribunal correction­nel de Monaco, a tous les ferments d’un règlement de compte politique. Les juges ont rejeté la demande de l’État du Sénégal concernant la confiscati­on des fonds détenus en Principaut­é par M. Karim Wade, ancien ministre de ce pays d’Afrique de l’Ouest, fils de l’ex-président Abdoulaye Wade de 2004 à 2012, et candidat malheureux aux dernières élections présidenti­elles. Son cercle d’amis, dont le très proche homme d’affaires Ibrahim Aboukhalil, est également visé par cette procédure. À l’instar de l’arrêt du 14 mars 2018 de la Cour d’Appel de Paris, la décision monégasque a refusé d’exécuter, en Principaut­é, la requête sénégalais­e dirigée contre huit prévenus, représenté­s à l’audience par un bataillon d’avocats des Barreaux de Monaco, Paris et Dakar. L’historique s’impose avant d’en venir aux faits relatés avec pertinence par le président Jérôme Fougeras Lavergnoll­e.

« Des faits qui auraient été condamnés à Monaco»

Karim Wade était pressenti pour succéder à son père à la tête de la République du Sénégal. Mais le scrutin de 2012 désigne Macky Sall comme chef d’État. Le nouveau président entreprend rapidement d’affaiblir son opposant et ceux qu’il considère comme ses « prête-noms ». Il instaure la Cour de répression de l’enrichisse­ment illicite (CREI). Cette juridictio­n d’exception va

condamner Karim Wide à six ans de prison ferme, plus une amende de 138 milliards de francs CFA (209 millions d’euros) pour « enrichisse­ment illicite ». Le procureur de cette même Cour va réclamer à la justice monégasque l’autorisati­on de confisquer également tous les biens détenus en Principaut­é. «Si l’État du Sénégal se constitue partie civile, souligne le procureur Alexia Brianti, cela ne signifie pas pour autant que son interventi­on et sa demande sont recevables… » Aussitôt, Me Thomas Giaccardi,

avocat du Sénégal, considère que son « client a intérêt à intervenir à cette audience. Car ces dirigeants ont demandé l’entraide internatio­nale pour obtenir la confiscati­on des sommes bloquées à Monaco. Les délits reprochés, trafic d’influence, recel, corruption sont des faits qui auraient été condamnés, évidemment, en Principaut­é. Ordonnez cette saisie… »

« C’est le système des filets dérivants »

De son côté, le président Jérôme

Fougeras Lavergnoll­e a invité l’État du Sénégal et les autres parties à faire valoir leurs observatio­ns. D’emblée, Mes Olivier Marquet et Corinne Dreyfus-Schmidt, avocats de M. Aboukhalil et de trois autres prévenus, sont surpris «par l’interventi­on de cet État étranger. Outre sa politique agressive dans ce dossier, il ne peut avoir la qualité de partie dans ce procès. J’ai vécu l’expérience du procès dans ce pays ! Quand on a l’outrecuida­nce de poser des questions qui dérangent le président sénégalais, des gardes armés lourdement vous entourent… On cherche l’argent dans un pays où la loi est au service du pouvoir. C’est le système des filets dérivants. Aucun des critères applicable­s de la Convention de Palerme est réuni et applicable. Déclarez la demande ir recevable. »

« Le Droit triomphe à Monaco comme à Paris »

À tour de rôle, les autres avocats évoquent des « situations inacceptab­les dans une démocratie. Les procès n’ont pas été équitables et les décisions non respectées. Les faits reprochés d’enrichisse­ment illicite ne sont pas prévus dans le Code monégasque. Ils ne peuvent pas être assimilés à du blanchimen­t et de la corruption. N’autorisez pas cette confiscati­on… » Me Seydou Diagne (Dakar), souligne surtout la volonté « d’un État qui a réussi à instrument­aliser la justice sénégalais­e. Mais votre justice ne doit pas accepter cette décision sur son territoire…» Enfin, Me Bernard Bensa appréciera « la chance d’avoir une justice monégasque respectueu­se face à celle du Sénégal. La France a classé sans suite ses demandes ! Quel acharnemen­t! Jusqu’à venir frapper à la porte de votre tribunal… » À l’annonce du rejet des demandes, Me Corinne Dreyfus-Schmidt (Paris) a déclaré : « Si le Sénégal a exercé des pressions, le Droit triomphe à Monaco, comme à Paris où les mêmes demandes ont été rejetées ! » Est-ce un sérieux coup d’arrêt au projet politique fomenté afin de couler un adversaire ?

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(Photo AFP) Fils de l’ancien président du Sénégal, Abdoulaye Wade (-), Karim Wade dispose de  comptes bancaires en Principaut­é.

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