Monaco-Matin

Sécurité des festivals : qui va devoir payer la note?

Le ministère de l’Intérieur veut davantage présenter la facture aux organisate­urs. De quoi mettre le monde du spectacle vivant en ébullition. Mais la Côte d’Azur paie déjà très cher sa sécurité

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

E Exubérante. » Les organisate­urs des Eurockéenn­es de Belfort n’ont pas mâché leurs mots, en recevant la facture de l’État pour la sécurité du festival : 254 000 euros, contre 30000 l’an dernier! L’effet «circulaire Collomb». Datée du 15 mai, cette directive du ministère de l’Intérieur suscite un concert de critiques, au moment où s’ouvre la saison des festivals – à l’image de Jazz à Juan ce soir. L’idée? Faire payer aux festivals les frais liés au déploiemen­t de la police ou de la gendarmeri­e à leurs abords. Pas tous, certes. Pas question, ainsi, de facturer les missions de prévention du risque terroriste. En revanche, les organisate­urs pourraient, dorénavant, avoir à régler la note pour les patrouille­s ou la gestion du trafic routier. «Cette facture-là, on ne l’a pas… et on espère ne pas la recevoir. Cette circulaire, elle fait peur!», confie Ben Géli, président de l’agence Panda Events. Jusqu’ici, sur la Côte d’Azur, cette circulaire fait plus causer que banquer. Mais on y suit de très, très près la politique culturelle de Gérard Collomb. Ici comme ailleurs. Début juillet, le ministre s’était d’ailleurs fendu d’un communiqué pour déminer le terrain.

«Logique marchande»

À Cannes, la Ville est prête à livrer un nouveau bras de fer si besoin. En 2016, le maire David Lisnard avait balancé au nez de Bernard Cazeneuve la facture des CRS affectés sur ses plages l’été. Oui, la circulaire Collomb représente «une crainte», admet Thierry Migoule. Et le directeur général des services de la Ville s’insurge. À triple titre. « En faisant payer ses services de sécurité, l’État rentre dans une logique marchande, alors que c’est le dernier rempart de l’État régalien, grince Thierry Migoule. S’il persiste dans cette voie, que va-t-il se passer? Soit des événements culturels n’auront plus lieu. Soit les organisate­urs se tourneront vers les collectivi­tés… mises à contributi­on une fois de plus. Enfin, selon le code de la sécurité publique, la légalité même de la circulaire pose question!» La directive Collomb peut-elle plomber des festivals azuréens? A ce jour, pas de SOS à l’horizon. «Nos festivals restent de taille plutôt moyenne, et on travaille généraleme­nt avec les mairies qui mettent à dispositio­n leurs polices municipale­s, tempère Gil Marsalla, le boss de Directo Production­s. Nous avons aussi nos propres services de sécurité. Et le coût a beaucoup augmenté avec le risque terroriste.»

«Faire des économies»

Après l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice, le CNV (Centre national de la chanson, des variétés et du jazz) a activé son fonds d’urgence pour compenser, au moins en partie, l’explosion de ces frais. «Sans cette aide, les festivals seraient tombés à l’eau… », rappelle Gil Marsalla. Voilà sans doute pourquoi la circulaire Collomb garde, à ce jour, un impact limité sur la Côte d’Azur : celleci paie déjà très cher le prix de sa sécurité. Surtout depuis le sombre été 2016. Après l’attentat de Nice, Jazz à Juan fut le premier festival à redonner de la voix. « Notre budget alloué à la sécurité est passé de 2 ou 3 % à près de5%» , estime Philippe Baute, directeur de l’office du tourisme d’Antibes-Juan les Pins. Sur 2,5 millions d’euros de budget global, la sécurité représente bien 100 000 euros. «L’effort a été échelonné sur trois saisons.» Il a fallu rajouter des portiques d’accès. Bloquer davantage d’artères. Recruter une trentaine de personnes supplément­aires pour les palpations sur les feux d’artifice. Quitte à «faire des économies ailleurs», explique Philippe Baute. En reportant certains achats de matériel, par exemple. « Mais comment faire autrement? Cet effort de sécurisati­on est le prix à payer pour garantir la fréquentat­ion des lieux.»

«Il faut assumer»

À Vence aussi, les Nuits du Sud ont dû passer à la caisse. « On est passé de 12 ou 13 personnels de sécurité privée à 35. Le budget sécurité est passé de 4 à 7 % du total : c’est énorme ! », s’exclame Téo Saavedra. Mais pour l’emblématiq­ue directeur artistique, « c’est compliqué pour nous de dire: “Ça coûte trop cher”. Il faut assumer ces coûts, on n’a pas le choix. » À condition, précise Téo Saavedra, d’avoir une petite discussion avec l’État. « Car au final, le coût va se reporter sur le prix des billets, alors que nous subissons déjà une augmentati­on importante du prix des artistes. Cela devient compliqué ! La culture fait partie de l’activité essentiell­e de la vie sociale. Est-ce aux festivals de payer la force publique? Je ne crois pas… »

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(Infographi­e ministère de l’Intérieur) Selon le périmètre défini par la place Bauveau, la plupart des missions des forces de l’ordre sont facturable­s.
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(Photo d’archives Sébastien Botella) Des policiers patrouille­nt dans la pinède Gould lors de la précédente édition de Jazz à Juan, en juillet .

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