Des premiers essais de routes goudronnées ont été réalisés
Au tout début des années 1900, un médecin suisse de génie, Ernest Guglielminetti, invente les artères modernes, adaptées à des automobiles. Le fruit d’expériences entre Menton et Monaco
Il n’est pas l’inventeur du goudron. Mais probablement celui qui a trouvé, pour ce matériau, la meilleure des utilisations. Médecin suisse originaire du Valais, Ernest Guglielminetti est tout bonnement l’homme qui a créé les routes modernes. À une époque où les automobiles étaient encore une rareté. Dans un article paru en 1960 dans le Journal et Feuille
d’avis du Valais, on explique ainsi que l’homme à la
moustache proéminente teste, dès 1902, un « moyen de combattre la poussière épaisse des avenues niçoises. Ayant fait accrocher un tonneau d’arrosage aux trams de la ligne Nice-Menton, il voulait, en mouillant le sol, se rendre maître de cette poussière qui empoisonnait les avenues et les estivants. Sa tentative, avec de l’eau de mer qu’il utilisait après avoir subi un premier échec avec de l’eau potable, lui valut des railleries. “Hélas ! disait-il avec humour, on ne parvenait ainsi qu’à salir les jupes des dames et à corroder les sabots des chevaux!”»
Aide précieuse du souverain Albert Ier
C’est en puisant dans son passé que la solution viendra. Plus précisément dans son expérience en tant que médecin colonial à Java, Sumatra et Bornéo. Au cours de l’année 1902, il repense aux employés des hôpitaux indonésiens qui passaient les planchers au goudron pour les préserver de la moiteur et les nettoyer plus facilement. Pourquoi ne pas reproduire leur geste ? L’idée fait son chemin. Il peut tenter une nouvelle expérience avec l’accord et l’appui du souverain Albert Ier. Sur la Riviera, la matière première est à l’époque facilement disponible. Et pour cause: les usines à gaz d’éclairage municipal jettent des quantités invraisemblables de goudron dans la mer. Un jour de mars, des passants découvrent celui qui deviendra le «docteur goudron» en train de badigeonner la chaussée avec un balai, avant d’enduire le sol avec du goudron chauffé dans un baquet – sur une longueur de quarante mètres. Il n’est pas exclu qu’une majorité l’ait pris pour un fou. En septembre 1906, c’est au tour de la promenade du Midi à Menton d’être également goudronnée. Car, avant tout financée par des mécènes, cette trouvaille a fait ses preuves. Non seulement, elle éradique les volutes de fumée – qui obligeaient les passagers à couvrir leur visage de grosses lunettes – mais en plus, elle réduit le bruit occasionné par le passage des véhicules. Guglielminetti est évidemment présent au premier Congrès international de la route, à Paris, en 1907.
Défiance des cochers et cantonniers
Il y exprime son rêve : « des milliers de kilomètres de routes goudronnées tout autour de la planète, reliant les pays et les océans entre eux. » Un rêve que ne partagent pas toutes les congrégations. À commencer par celles des cantonniers, qui, habitués à concasser les cailloux, craignent d’être assommés par cette nouvelle technique. Par ailleurs, en temps de pluie, le goudron n’est pas idéal pour les chevaux à attelages, qui risquent leur vie dans d’épiques glissades. Le catalogue de l’exposition Une Formidable invention à haut risque: l’automobile dans les Alpes-Maritimes, proposée en 2008, fait par ailleurs mention d’une hostilité plus générale à l’égard de l’automobile. En première ligne: les cochers mentonnais qui voient cette concurrence d’un très mauvais oeil. Parmi les détracteurs du « docteur goudron », on compte aussi un certain… Gordon Bennett. Qui lui avait pourtant passé commande pour la route menant à sa villa. Rentrant à tombeaux ouverts, dans l’obscurité, il avait eu le malheur de rouler sur de l’enduit pas encore sec. Par amour pour son cabriolet, il crut bon traîner Gulglielminetti dans la boue...