Monaco-Matin

Gabrielle Lazure marraine punk à Beausoleil

Au casting d’Un si grand soleil et marraine du festival Les Héros de la TV, demain à Beausoleil, l’actrice se confie sur une enfance sans repères, entre drogues, sexe et surtout absence de sa mère

- PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS MICHEL tmichel@nicematin.fr

Elle n’a pas fui la guerre, mais sa mère. Auteur de Maman… cet océan entre nous, l’actrice québécoise Gabrielle Lazure (La Crime, La Belle Captive, Les Rivières Pourpres 2…) est une migrante, une rescapée aussi. Une survivante de l’abandon maternel poussée à l’exil, en France, dans les années 70. Son récit, aussi touchant que troublant, trouve la lumière dans le pardon posthume accordé à sa mère fantasque, distante et frustrante. Un texte sombre servi par une plume légère et rythmée. Un numéro d’équilibris­te où l’intime et l’indicible s’entremêlen­t sans s’étaler. Sans heurter. « Mal-aimée », Gabrielle traverse l’Atlantique à 17 ans. L’étudiante en psycho laisse derrière elle des parents divorcés et des années d’apprentiss­age du vice. « Ma mère était psychologu­e, mon père psychiatre, moi perturbée», résume-t-elle. Fillette victime d’abus sexuel, puis ado droguée, la native de Philadelph­ie confie «avoir grandi comme une mauvaise herbe, une des plantes les plus coriaces». Forgée à la dure, elle a aujourd’hui trouvé le bonheur dans les yeux d’Emma, sa fille, et s’épanouit face caméra, notamment dans le nouveau feuilleton quotidien à succès de France 2, Un si grand soleil. Longtemps «détachée» de ses rôles, «pas assez exigeante», Gabrielle Lazure sublime désormais ses fêlures par le prisme du 7e art. De retour dans le coeur et le foyer des Français, elle sera la marraine du Festival « Les Héros de la TV », ce samedi, à Beausoleil. Moteur!

Vous avez un rapport contrarié avec les fans. Vous racontez notamment cette femme qui vous a suivi jusqu’à voler vos photos dans un photomaton… Je comprends que des gens qui n’ont pas une vie très excitante puissent avoir besoin de vivre par procuratio­n à travers ceux qu’ils admirent. Ça fait partie du métier mais c’est un peu flippant. J’ai pris le train avec Jean-Marie Bigard l’autre fois, qui m’expliquait que son ami Jean Reno n’aime pas ça. On peut vivre comme une forme d’agression ces personnes qui viennent vers vous comme si vous leur appartenie­z. Jean-Marie, lui, dit toujours oui. Moi, je veux me sentir libre, je n’ai pas envie de m’imposer de mauvaises vibrations alors j’essaye de sourire et d’accepter les gens. Mais j’ai un caractère qui peut faire un peu peur, je peux dégager un truc froid et ils comprennen­t bien qu’il ne faut pas m’embêter trop longtemps quand même (rires).

Votre récit est une lettre à votre mère défunte mais avant tout une autobiogra­phie… Je me suis battue pour l’écrire seule, parce que je ne voulais pas que ce soit résumé à un listing de gens connus que j’ai pu croiser, comme souvent avec un “nègre”. Ça a pris le temps d’une gestation.

Avez-vous eu une liberté totale de l’éditeur (L’Archipel)? J’ai dit que je voulais bien parler d’une personne ou deux connues parce qu’elles m’ont réellement marqué mais, pour le reste, Martin Sheen m’a dit un jour: “Plus tu es personnell­e, plus tu es universell­e”. Quand on se livre vraiment, ça peut donner du courage à d’autres personnes qui ont vécu des sentiments similaires. Des parents qui regarderon­t leurs enfants différemme­nt, les protégeron­t ou les encourager­ont à parler. C’est un acte de partage.

Comment expliquez-vous le comporteme­nt de votre mère? Il y a plusieurs explicatio­ns. À cette époque, on ne montrait pas ses émotions dans le milieu anglosaxon et ses parents faisaient chambre à part par exemple. Elle n’a pas appris à aimer. Sa mère ne lui a pas appris à la câliner…

Votre grand-mère qu’elle décrit (Photo Facebook/GabrielleL­azure) comme «toxique». Oui il faut croire que c’était génétique. Sous le couvert de vouloir m’aider, ma mère me tirait toujours vers le bas.

Votre mère était psychologu­e, «à la poursuite d’un idéal» qu’elle n’a jamais trouvé… Elle voulait changer le monde, mais c’était mélangé à une forme d’illuminati­on. Il n’y avait rien de convention­nel, elle se foutait de réussir ou gagner de l’argent. C’était un gourou aussi. Elle avait des adeptes, aujourd’hui on dirait des followers. Mon père disait qu’on ne devient pas psy par hasard, c’est pour résoudre ses propres problèmes. La quête mystique qu’a eue ma mère toute sa vie n’a finalement jamais été résolue puisque, même mourante, elle avait peur de mourir. C’est étrange pour quelqu’un qui est dans la spirituali­té et aurait pu ressentir une libération.

Votre histoire est aussi celle d’une migrante qui peine à trouver sa place en France… C’est vrai que ce n’était pas simple d’arriver en France. Ça s’est amélioré, c’est plus ouvert. La constructi­on de l’Europe et l’arrivée de grandes enseignes internatio­nales ont notamment poussé les commerçant­s à être un peu plus civilisés avec les clients, faire des remboursem­ents, des échanges… Dans la rue, ça s’améliore un peu. Mais il n’y a qu’à voir quand les Français vont au Québec, ils disent: “Qu’est-ce qu’ils sont sympas!”.

Et l’intégratio­n dans le cinéma? J’ai ressenti un truc qui existe peutêtre moins qu’avant, puisque Marie-Josée Croze ou Jean-Marc Grondin arrivent à travailler aujourd’hui. J’ai toujours eu le sentiment qu’on ne m’avait pas totalement acceptée culturelle­ment. Peut-être que je me trompe…

Vous regrettez de ne pas avoir encore eu votre grand rôle? Oui, je n’ai pas travaillé avec beaucoup de grands réalisateu­rs français d’aujourd’hui et j’aimerais bien faire un joli rôle, même court. J’ai adoré jouer la mère supérieure dans la série Versailles par exemple. J’ai aussi fait une apparition dans le Bureau des Légendes que j’ai beaucoup aimé. J’ai failli faire un truc comique qui m’éclatait là, mais on m’a reproché d’être trop belle pour être la mère de l’acteur. A  ans, ça me fait marrer!

Dans le livre, vous évoquez ce journalist­e qui a failli vous inoculer le VIH sciemment ou encore la mort de votre amie Marie Trintignan­t. Quels sont vos engagement­s? Vos combats? Je ne suis pas vraiment attachée à une cause. Je me suis engagée avec #Maintenant­OnAgit, la Fondation des Femmes qui accompagne les femmes victimes de violences que soutient Julie Gayet. Ce qui me tient à coeur, c’est de soutenir les personnes fragiles, que ce soit les enfants comme les femmes. Je déteste qu’on utilise son ascendant ou son pouvoir sur quelqu’un de plus faible, y compris dans le travail où des employés sont “torturés”.

Vous ne pardonnez pas à Bertrand Cantat… Peut-être qu’ils étaient bourrés tous les deux mais on s’en fout. Je suis choquée de le voir sur scène. Il y a des choses qui sont difficiles à pardonner, voire impardonna­bles. Moi, j’ai pardonné à ma mère… mais elle ne m’a pas tuée non plus.

Vous évoquez les «prédateurs» qui rôdent dans le cinéma. Vous n’êtes jamais tombé dans leurs griffes ? Au début, je n’avais pas d’agent et j’étais inscrite dans un genre de bottin. Des fois je recevais des invitation­s foireuses. Une fois je suis venue pour un western, c’était à cheval mais on me demandait si je voulais bien enlever le haut, le bas… En fait c’était un film de cul. La pauvre fille qui débarque et ne parle pas trop la langue peut se faire avoir mais quand on se déshabille on sait bien ce qu’on fait. Des directeurs de casting m’ont aussi prévenu que des réalisateu­rs font des faux castings pour draguer. Ça m’est arrivé qu’un réalisateu­r me regarde lourdement mais je faisais en sorte qu’il arrête de fantasmer, en étant grossière.

Je suis choquée de voir Cantat sur scène ” Ma mère ne m’a pas tuée non plus ”

Vous avez subi des abus sexuels dès  ans, un dépucelage «chaotique», une mère qui se masturbait sous vos yeux, et vous avez même posé nue, à  ans, pour votre beau-père. Vous n’avez jamais été dégoûtée du sexe? Ça n’a pas toujours été simple, j’avais parfois un comporteme­nt de consommatr­ice et des aventures. Je me désincarna­is, comme si je sortais de mon corps, et je faisais des trucs sans rien ressentir. Ça a pris du temps avant que j’assume ma sexualité. Je ne supportais pas de voir quelqu’un se faire plaisir par exemple, c’était toujours dégoûtant.

Et aujourd’hui, le sexe est «votre pratique sportive la plus régulière»… Oui (rires). J’aime bien le sport en chambre. Depuis que j’ai  ans, mon gynéco me demande si je suis toujours active. Je dis oui et m’étonne, mais il me dit que la plupart des femmes de mon âge arrêtent de faire l’amour. Moi je trouve ça super l’amour, c’est un échange d’énergies! Mais il faut le faire quand on a envie, ne pas se forcer.

Vous avez goûté à toutes sortes de drogues très jeune, votre mère vous a même proposé d’être votre dealer! Avez-vous mal réagi parfois? Une fois, j’ai eu un bad trip chez une copine. On écoutait Janis Joplin sous acides et je me demandais comment elle pouvait chanter alors qu’elle était morte. J’ai aussi conduit sous acides dans Montréal, à  ans, mais suis arrivée à bon port. Je pense avoir une bonne étoile.

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