Le récit
Pour avoir dit « merde » à son employeur, le journal Le
Matin – où il avait été dix ans chroniqueur judiciaire, trois ans chroniqueur parlementaire et trois ans critique dramatique –, Gaston Leroux se retrouve licencié. Une chance, finalement, il peut enfin réaliser son rêve : écrire des romans à énigmes. Le célébrissime Mystère de la
chambre jaune, qui n’évoque rien de moins qu’un crime dans une chambre hermétiquement close, ne tarde pas à être publié. Et salué. N’ayant plus d’obligations parisiennes, le voilà parti avec sa famille et ses valises pour Menton, en 1908. Un lieu idéal pour écrire la suite de son livre à succès, Le Parfum de la dame en noir. Tout en restant à distance respectable des casinos, sa deuxième passion. Soucieux de toujours apporter du réalisme à ses écrits, Gaston Leroux prend naturellement la cité des citrons – où il réside – pour décor. Et plus précisément le quartier de Garavan, ainsi que la frontière italienne. Voici comment il décrit les lieux, en entame du 6e chapitre du roman : «Quand il descend de la station de Garavan, quelle que soit la saison qui le voit venir en ce pays enchanté, le voyageur peut se croire parvenu en ce jardin des Hespérides dont les pommes d’or excitèrent les convoitises du vainqueur du monstre de Némée. Je n’aurais peutêtre point cependant, — à l’occasion des innombrables citronniers et orangers qui, dans l’air embaumé, laissent pendre, au long des sentiers, par-dessus les clôtures, leurs grappes de soleil, — je n’aurais peut-être point évoqué le souvenir suranné du fils de Jupiter et d’Alcmène si, tout, ici, ne rappelait sa gloire mythologique et sa promenade fabuleuse à la plus douce des rives. » Classe, non ?
« Des détails précis, non inventés »
Pour qui lirait attentivement son récit, de nombreux détails de Menton et sa région sont par ailleurs reconnaissables. Seul le fort d’Hercule a été inventé mais l’auteur a pris la précaution (futée) de préciser que l’édifice a depuis été détruit. On retrouve malgré tout les grottes préhistoriques de la Mortola, ou encore le jardin Handbury, en construction au moment où Gaston Leroux réfléchit au lieu où planter son décor. Mais son choix ne se porte pas sur le visage souriant de la Côte d’Azur. Monsieur Gaston n’aime pas les contes de fées. Et préfère voir dans le «Château des Rochers rouges» un dédale d’oubliettes, de pièces glaçantes, de couloirs inquiétants. « Les romanciers populaires avaient inventé la nuit pour y faire mouvoir leurs personnages; Gaston Leroux a fait mieux, il a inventé les ténèbres. Dans la nuit, les étoiles et la lune vous éclairent encore, et vous y voyez quelque chose. Dans les ténèbres de Gaston Leroux, on ne voit plus rien… » écrivait ainsi Jules Mary, romancier et dramaturge de son état. Interviewé par Les Nouvelles littéraires en mai 1925, à Nice (où il vécut ensuite, puis mourut), le maître du polar à la française acceptera de dévoiler quelques-uns de ses
ingrédients magiques. « Ma recette ? J’ai toujours apporté le même soin à faire un roman d’aventures, un romanfeuilleton, que d’autres à faire un poème (...) J’attribue une grande partie de mon succès d’abord à mon imagination, puis à l’alliance de cette imagination avec tout ce que j’ai appris au cours de ma vie journalistique. Je peux ainsi me permettre d’avoir la plus folle imagination, sans désarçonner le lecteur. Des détails précis, non inventés, de solides éléments de réalité négligemment jetés au royaume des invraisemblances, accrochent le lecteur. L’imagination, je la donne à l’aventure ; mais ceux qui agiront doivent être tout à fait vivants, mais tout doit s’expliquer. Le lecteur permet tout s’il retombe sur ses pattes. » De bons conseils à appliquer pour qui voudrait se lancer dans un roman d’épouvante en cette belle journée d’Halloween.