Jean Epstein : comprendre les besoins de l’enfant
Dans le cadre de la Semaine de la Petite enfance, le psychosociologue a animé une conférence sur l’éducation des petits, face à des familles et des professionnels
Barbe de père Noël, téléphone à clapet, voix un peu éraillée en raison d’une précédente conférence sous une clim déréglée, humour corrosif: Jean Epstein a un style bien à lui. Mais dans le milieu de la petite enfance, le psychosociologue fait figure de référence. Aussi était-il l’invité de la conférence interprofessionnelle organisée mercredi au Palais de l’Europe de Menton, dans le cadre de la Semaine de la Petite enfance. Pour parler… petite enfance. Et nécessité de comprendre les différences de chaque bambin pour offrir à chacun toutes les clés nécessaires à son développement. Que retenir des conseils prodigués? Résumé.
Le triangle de la confiance
Le bien-être d’un petit tient en partie au «triangle de la confiance» formé par l’enfant, les parents, et les professionnels. «Il faut qu’il y ait de la confiance à chacun des sommets, et entre eux. La personne importante, c’est l’enfant, mais au fond, il est secondaire. C’est presque plus l’adulte qui compte: quand il y a un projet commun, il n’y a pas de raison que ça se passe mal pour l’enfant.»
Fondamentale maternelle
Pour Jean Epstein, l’école a bien évidemment un rôle à jouer. À condition d’être bien organisée. «Je ressens et je vois qu’il se passe quelque chose d’intéressant depuis 4-5 ans. Alors que la maternelle s’était fait bouffer par l’élémentaire, il y a aujourd’hui une volonté de la ramener vers la petite enfance. On pense de plus en plus de 0 à 6 ans pour mieux respecter les enfants dans leur apprentissage et leur rythme.»
Ce que disent les neurosciences
Dans les années 70, le scanner avait permis de distinguer trois cerveaux: le gauche, associé à la logique. Le droit, au créatif. Et celui de l’affectivité et de la mémoire. «Ils fonctionnent ensemble. Tout le monde a le même nombre de neurones mais pas répartis pareil», souligne le psychosociologue. Insistant sur l’importance ne pas se fier au seul quotient intellectuel. «Le plus haut niveau de QI n’est pas chez les prix Nobel mais chez les acteurs. À l’exemple de Sharon Stone.» Le plus méconnu des cerveaux reste le 3e. «C’est celui des réussites soudaines ou des échecs brutaux. Il ne fait rien mais commande tout. Car il sécrète des hormones facilitatrice ou inhibitrices.»
L’importance du 3e cerveau
Jean Epstein cite une étude relative aux métiers que les enfants feront d’ici à 2 030. «82 à 85 % n’existent pas encore! Les adultes qui réussiront le mieux seront les créatifs, ceux capables de s’adapter. Or le système actuel privilégie la logique, la reproduction d’un modèle. Celui dont on aura besoin risque donc de porter divers noms: imaginatif, créatif, puis rêveur, hyperactif, voire psychotique», commente-t-il. Rapportant une phrase sortie un jour à un pâtissier. « Si on fait rentrer les enfants dans le moule, ils deviennent tartes.» Illustration parfaite d’un système éducatif inadapté: la lecture. «Trop souvent, on fait fonctionner le cerveau
Laisser le temps au temps
dans le sens gauche à droite: tu apprends, tu comprends, puis tu aimes. Mais ce devrait être l’inverse: tu aimes, tu explores, tu apprends. Il faut donner envie à l’enfant pour qu’ensuite il comprenne. Et le valoriser dans ses compétences.»
L’évolution du statut de l’enfant
Jusqu’au milieu des années 70, il était un objet de reproduction. «Il devait reproduire les valeurs de la famille. Puis Françoise Dolto a montré les compétences du bébé. Mais elle a été très mal comprise: en son nom, des gens ont dit que tout se jouait avant 3 ou 6 ans. Alors qu’elle pensait tout l’inverse: il existe des sessions de rattrapage.» Nouveau changement de statut dans les années 80, avec le choc pétrolier, la montée du chômage… et une peur naissante de l’avenir. « L’enfant est devenu un objet de dépassement. Il doit être mieux que ses parents, a une obligation de réussite. Et les parents ne veulent plus perdre de temps…»
Les études (sérieuses) sont sans ambages: un enfant sait lire entre 4 et 9 ans. Il devient propre entre 2 et 6 ans. Il marche entre 10 et 21 mois. «Un bon médecin vous dira que vous ne pourrez rien faire pour le mettre en avance mais que vous pouvez le retarder», assure Jean Epstein. Rappelant combien il est absurde de forcer un petit à rester éveillé. «Il a besoin de courtes séquences de sommeil pour que les apprentissages s’impriment. Alors si on les empêche de dormir pour qu’ils fassent plus de choses, ils en feront effectivement beaucoup, mais ils ne mémoriseront rien.» Autre enseignement: il faut laisser un enfant s’ennuyer pour qu’il trouve une occupation par lui-même. «On retrouve des violences chez l’enfant ne sachant pas gérer son temps libre.»
Petite enfance déterminante
Jean Epstein dit avoir contribué à un rapport européen sur la violence. «Les neuf causes à cela renvoient toutes à des apprentissages de la petite enfance pas faits dans de bonnes conditions. Au Québec, ils ont compris cela. Mais pas par humanisme, en tant que gestionnaires: c’est un gouffre financier d’attendre que ça casse plutôt que de se donner les moyens de structurer.»
Les quatre boules de l’enfance
Le psychosociologue relève quatre boules (ou chantiers) chez l’enfant: amour, peur, limites, culpabilité. On retiendra notamment que «le fait d’avoir été toujours comparé et d’avoir reçu des mots douloureux reste toute la vie». Que de plus en plus d’enfants ont peur de perdre: «alors pour se rassurer, ils se regroupent pour humilier un tiers». Qu’ils sont trop souvent parentalisés. «J’ai eu l’exemple d’un gamin de 10 ans qui frappait les petits. Il s’est avéré que ses parents étaient au chômage, et que quand il partait à l’école, ils restaient dans le canapé à jouer à la game boy. Cet enfant n’avait pas le droit d’être un enfant et reprochait aux autres, dans la cour, de l’être…»