Qui a volé la chemise du tsar Alexandre II ? Nice
La fédération de Russie et les descendants niçois des Russes blancs s’arrachent les reliques de l’empereur. Une nouvelle salve d’hostilités dans la longue guerre qui les oppose…
Le 8 novembre, j’ai reçu un appel téléphonique d’un huissier. Il m’a annoncé qu’il était devant la porte de l’église de Longchamp et que si je n’ouvrais pas, il casserait les serrures. J’ai ouvert. Devant moi, se tenait une escouade : l’huissier, des policiers, un représentant de la fédération de Russie… Ils venaient récupérer des souvenirs historiques ayant appartenu à Katia, la veuve d’Alexandre II. Ils m’ont dit que Poutine voulait les montrer à Emmanuel Macron le 11 novembre. Ils avaient une ordonnance du juge du TGI [tribunal de grande instance] de Nice. Je n’ai pas eu le choix… » La voix d’Alexis Obolensky, viceprésident de l’association cultuelle orthodoxe russe de Nice (l’Acor), est lasse, ses épaules voûtées sous le poids des années et des coups. La mort dans l’âme, le vieil homme a remis aux envoyés de Moscou « un haut d’uniforme de l’empereur, un portrait sur verre, la chemise, le gilet et trois mouchoirs qu’Alexandre II portait le jour de l’attentat de 1 881 où il est mort ». Mais il ne cédera pas à « cette nouvelle indignité de l’État russe ». C’est le combat de sa vie. Une guerre sans merci entre l’Acor, créée par les Russes blancs exilés sur la Côte d’Azur, et la fédération de Russie. «Je ne peux pas accepter de tout leur laisser », martèle le vice-président d’Acor.
Le cimetière devant la justice
En 2013, au terme de plusieurs années de procès et de déchirements, la Russie a récupéré la propriété de la cathédrale Saint-Nicolas, gérée depuis 1927 par les Niçois. Reste le bras de fer autour de la petite église de la rue Longchamp, les terrains qui jouxtent Saint-Nicolas et le cimetière où reposent 3 000 descendants des tsars et des émigrés russes et notamment Katia, réfugiée et morte à Nice en 1922. La Russie prétend que tout lui appartient. L’Acor s’insurge. « La fédération de Russie a eu une décision de justice favorable sur Saint-Nicolas et a ensuite imaginé étendre la portée de cette décision à tous les biens niçois », dénonce Jean-Marc Szepetowski, l’avocat de l’association. Ces affaires sont devant les tribunaux, plusieurs procédures sont en cours. Dans ce contexte de tensions exacerbées arrive l’épisode des reliques. « La fédération de Russie présente une requête dans une procédure non contradictoire en affirmant que les objets mobiliers lui appartiendraient, qu’ils auraient été volés par l’Acor et qu’il y aurait urgence à les récupérer pour Poutine. Et la Russie obtient une ordonnance!», s’étouffe le conseil des Niçois. Me Szepetowski est hérissé : « Soit le magistrat qui a signé cette ordonnance, n’a pas lu la requête et c’est inquiétant. Soit il l’a lue et c’est encore plus inquiétant ! Les conséquences, c’est quand même de permettre à une personne de se rendre chez un tiers pour se faire remettre des objets sans aucune procédure statuée (Photos Cyril Dodergny)
sur la propriété de ces biens ! ». « Ils m’accusent d’avoir dérobé les reliques !», s’indigne Alexis Obolensky, qui dégaine, comme un étendard de probité, le classement sans suite d’une plainte pour vol déposée contre lui par Moscou. Un document signé par le procureur de la République de Nice le 9 novembre… le lendemain de l’arrivée de l’huissier aux portes de l’église Longchamp.
« pièces portées disparues »
Un classement sans suite que la fédération de Russie balaie d’un revers de main. Les Niçois ont bien barboté les reliques, maintient Stanislav Oranskiy, le chef de l’agence consulaire de Villefranche-sur-Mer, dépendant du consulat général de Russie à Marseille. «Elles appartenaient à l’église orthodoxe Saint-Nicolas qui appartient elle-même à la fédération de Russie. Ces reliques étaient là depuis 1920. En 2014, au moment de la restitution des lieux, l’Acor les a volées ». Et ce ne sont pas les seules pièces qui manquent, accuse le représentant de Moscou : « Ces reliques font aussi partie du patrimoine français. Le ministère de la culture français nous a donné ordre au printemps de procéder à un récolement [inventaire] : 20 pièces sont portées disparues ». Que deviendront le haut d’uniforme, la chemise et les mouchoirs du tsar Alexandre II ? « Elles resteront à Saint-Nicolas où elles seront exposées et accessibles à tout le monde », promet Stanislav Oranskiy. Et d’ajouter : « Nous n’avons rien contre l’Acor, nous essayons de régler les problèmes paisiblement… Il est temps que cette guerre se termine ! ». Rien n’est moins sûr : l’avocat des Niçois met la dernière main à une contre-attaque en justice pour récupérer les reliques…