Monaco-Matin

Lou Cigalon à Valbonne : le chef arrête l’aventure

Un an après son accident de la route, le chef Christophe Martin met en vente le restaurant étoilé au Guide Michelin. Une histoire qui touche à sa fin...

- JEAN-MICHEL POUPART

La discussion était entamée depuis plus d’une heure. Une heure à refaire le parcours de Christophe Martin depuis son arrivée aux commandes du Lou Cigalon au printemps de l’année dernière. Une heure à parler de son terrible accident, de l’Étoile Michelin décernée en février et surtout de son retour aux fourneaux depuis quelques semaines. Et puis, au détour d’une phrase, le chef lance : « On

a mis en vente… » Le choc ! Le stylo qui reste en suspension dans l’air, comme tétanisé d’écrire l’inimaginab­le. Nous n’étions pas venus pour ça. « C’était une belle aventure mais ce qu’a vécu l’équipe est très dur. Il faut passer à autre chose, c’est dommage ». Oui, c’est dommage. Oui, cela mérite un retour en arrière.

En avril 2017, arrivant tout droit de la Bastide de Moustiers où il dirigeait les cuisines d’Alain Ducasse depuis cinq ans, Christophe Martin redonne vie au Cigalon de Valbonne dont la réputation avait été faite, en son temps, par Alain Parodi : « On était très contents. À partir du mois de juillet, on avait commencé à avoir notre clientèle avec des habitués

qui revenaient souvent. On commençait à prendre nos marques avec les producteur­s locaux, le boulanger du village, le poissonnie­r, le fromager. Tout allait bien… ». Tout bascule le 21 décembre. Après le service, en rentrant chez lui, dans la nuit, sur la route de Plascassie­r. Choc frontal avec une voiture roulant en face. Lorsque les pompiers arrivent sur place, la petite Fiat du chef n’est plus qu’un ramassis de tôle. Il faudra plusieurs heures pour l’extraire de son véhicule. Après plusieurs jours de coma, le bilan est saisissant : des dizaines de fractures sur tout le corps, le sternum, le foie et le poumon touchés, une hémorragie cérébrale. Vont alors s’enchaîner plusieurs mois d’hospitalis­ation d’abord en réanimatio­n puis au Centre Hélio-Marin.

« On se prend la vie en face »

En février, un après-midi, le chef reçoit un coup de téléphone en appel masqué, « Je réponds car souvent le chef

[NDLR. c’est ainsi qu’il appelle Alain Ducasse] m’appelle en masqué. Mais là, ce n’était pas lui. Mais un inspecteur du Guide Michelin qui m’annonce qu’on vient de nous attribuer une étoile ! Sur le coup, je n’y crois pas

trop, ce n’est pas possible… ». C’est Julie Chaix, sa seconde, fidèle depuis le début, qui va chercher à Paris la récompense. C’est aussi elle, toujours entourée d’Alexis son compagnon et maître d’hôtel et Yuko, la femme du chef, qui continue de faire tourner la maison. Avec l’arrivée de l’étoile, la clientèle afflue et il faut faire face. «Je me rends compte aujourd’hui du travail qu’ils ont fait. Julie a été extraordin­aire, au début, cela a été un peu déstabilis­ant pour elle, puis elle a pris confiance. Je suis très fier d’elle », avance le chef, les yeux quelque peu embués. Pendant ce temps,

Christophe Martin poursuit sa rééducatio­n avec des hauts et des bas. Le combat

est là : « On pense qu’on y est et puis on se rend compte que non. Là, on ne se prend pas une voiture en face mais la vie, on est livré à soimême. »

« On repasse tous les soirs par la même route »

Le mois dernier, c’est le retour aux fourneaux, toujours entre les rendez-vous médicaux et administra­tifs. Alors, pourquoi vendre aujourd’hui ? « On a des difficulté­s financière­s et le restaurant a trois étages : c’est encore trop dur. Et puis l’équipe a vécu des moments difficiles. Tous les soirs, on repasse par la route où j’ai eu l’accident, c’est un traumatism­e. Forcément, ça marque… ». Il faudra aussi un peu insister pour que le chef, toujours aussi pudique, livre un autre constat : « Il faut aussi résoudre tous les problèmes avec Pôle Emploi, avec les assurances, la banque. Tout ça, ça use, ça fatigue… »

« Je voudrais rester dans le Sud »

Mais pas question d’oeuvrer dans le registre du regret : « Ouvrir mon restaurant, c’était mon rêve, mon défi.

On l’a fait, c’était bien. On a eu l’étoile, on a montré qu’on était capable de le faire ». Le « on », c’est toujours le duo avec Julie, la seconde qui a décidé de rester avec le chef jusqu’au bout : « Nous restons là jusqu’à la vente. Je

voudrais que ça aille vite ». Bref, plus que quelques jours, quelques semaines pour goûter à cette cuisine personnell­e du chef qui, la semaine dernière, proposait à son menu : tendres gnocchi courge de Nice, pistou de noisette et romarin ; râble de chevreuil poêlé, légumes et fruits d’automne, vrai jus ; soupe de kaki de pays, crème légère et biscuit aux amandes. Et après ? « Me reconstrui­re. Reprendre une affaire en nom propre ? Non merci ! Je voudrais rester dans le Sud. J’aime toujours autant mon métier, cuisiner, en parler… » Comme un symbole de résurrecti­on, une bonne étoile penchée sur le destin du chef, Christophe Martin n’a jamais perdu ni le goût, ni l’odorat. Un signe du destin ? À très bientôt chef…

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(Photos J.-M. P.) Christophe Martin et son équipe lors de l’ouverture du restaurant.

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