Monaco-Matin

Ce que dit l’enquête sur les deux intoxiqués du port

Après l’accident mortel survenu en mai dernier sur un bateau, à Garavan, un travail a été mené pour éclaircir les circonstan­ces. Un rapport vient d’être publié pour que de tels drames ne se reproduise­nt pas

- A.R.

C’est un rapport qui ne vise pas à jeter l’anathème contre qui que ce soit. Mais au contraire à tenter de comprendre, pour éviter que le pire se répète. Suite au terrible accident du travail survenu le 23 mai dernier au port de Menton Garavan – qui avait conduit à la mort de deux technicien­s de 58 et 68 ans par intoxicati­on au dioxyde de carbone, après qu’ils avaient manipulé un extincteur – une enquête a été menée par le très sérieux BEAmer (Bureau d’enquêtes sur les événements de mer). Ses conclusion­s viennent d’être rendues, dans un document de 20 pages publié en décembre – qui averti d’emblée les lecteurs sur ses intentions. « L’analyse de cet événement n’a pas été conduite de façon à établir ou attribuer des fautes à caractère pénal ou encore à évaluer des responsabi­lités individuel­les ou collective­s à caractère civil. Son seul objectif est d’améliorer la sécurité maritime et la prévention de la pollution par les navires et d’en tirer des enseigneme­nts susceptibl­es de prévenir de futurs sinistres du même type. »

Série de conjecture­s

Suivant une méthodolog­ie bien huilée, le rapport propose en premier lieu un résumé des faits, puis des informatio­ns factuelles, un exposé, une analyse, et une présentati­on des mesures prises par la société pour laquelle travaillai­ent les deux hommes. Grâce aux investigat­ions faites à bord du bateau où le drame s’est produit par les enquêteurs judiciaire­s et les inspecteur­s du travail – et à une reconstitu­tion de l’accident effectuée au siège de la société – les faits sont désormais bien déterminés : « Le 23 mai 2018, dans le port de Menton - Garavan, deux technicien­s doivent effectuer la pesée de la bouteille de CO2 du motor yacht ORIA MONACO. Cette bouteille, d’un poids total en charge de 55 kg, est destinée à protéger le compartime­nt des moteurs contre l’incendie. Pour une raison inconnue, la décharge du gaz se produit alors que l’un des deux technicien­s déplace, ou tente de déplacer la bouteille». Le marin (employé par la capitainer­ie) qui les avait accompagné­s, et qui se trouve alors sur le pont à l’avant, « est alerté par le bruit caractéris­tique d’une décharge rapide de gaz. Il se précipite vers l’accès au compartime­nt et constate que la bouteille repose à l’horizontal­e entre les deux technicien­s et qu’elle est en train de se vider. Ceuxci semblent encore conscients et le marin tente de leur porter secours, mais renonce sous l’effet d’un vertige. Il s’extrait du compartime­nt et alerte la capitainer­ie et les pompiers ». La suite des événements est connue de bon nombre d’observateu­rs présents au port le jour J: malgré le défilé de secours, malgré tous les efforts et le profession­nalisme de chacun, les tentatives de réanimatio­n restent vaines. Parce qu’une part d’ombre demeure encore, les enquêteurs du BEAmer ne s’autorisent que des conjecture­s quand il s’agit d’aborder les raisons (détaillées) de l’accident. Et évoquent seulement «ce qui s’est peut-être passé ». En faisant concorder les diverses informatio­ns récoltées, ils élaborent ainsi le scénario suivant: «Le premier technicien se tient sur l’arrière du compartime­nt, entre les deux moteurs, tandis que son collègue entreprend de démonter le mécanisme de liaison au levier de commande. Ce dernier met en place la goupille de sécurité sur la vanne mais, très probableme­nt, ne l’assure pas à l’aide d’un “plomb” en plastique. Puis il démonte le raccord flexible de “sortie gaz”, sans mettre de bouchon d’obturation. Il démonte ensuite la bride de maintien de la bouteille, incline vraisembla­blement la bouteille vers lui pour la dégager de son socle et la poser sur le parquet des moteurs. L’exiguïté du

compartime­nt ne permet pas au premier technicien d’aider son collègue pour cette manoeuvre délicate. Pour une raison inconnue, le second technicien perd probableme­nt l’équilibre. Il entraîne la bouteille dans sa chute et la goupille, non sécurisée, sort de son logement. Également pour une raison inconnue, lors de la chute, le levier de commande “bascule” vers la position d’ouverture de la vanne de gaz, libérant ainsi le gaz dans le compartime­nt. La décompress­ion est brutale.» Vraisembla­blement, les précaution­s d’usage n’ont pas été prises cet après-midilà, suggère ainsi le rapport. Les conclusion­s sont cela dit plus précises : les deux technicien­s «exerçaient une activité marginale au sein de leur entreprise», il n’y avait pas de « mode opératoire pour les interventi­ons à risques à bord des navires de plaisance », les interventi­ons dans de telles embarcatio­ns «ne bénéficiai­ent

pas des retours d’expérience­s effectués chaque année » ,les risques inhérents au CO2 « ont vraisembla­blement été sous-estimés par les deux technicien­s », la manutentio­n de la bouteille « a été entreprise alors qu’elle n’était pas sécurisée», «l’absence de moyen de levage et l’ergonomie du compartime­nt des moteurs constituai­ent un risque supplément­aire » pour les deux hommes. Par ailleurs, une nouvelle norme relative aux « agents extincteur­s dangereux» ne s’appliquait pas aux bateaux de plaisance existant avant sa publicatio­n. Technique, mais neutre, le rapport ambitionne plus que jamais d’inciter les acteurs du monde marin à transforme­r ces conclusion­s en prévention. De son côté, à la suite du drame, l’entreprise a décidé de mettre fin à son activité « marine ».

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(Photo d’archive S.W.) C’est dans la cale de ce bateau amarré au port de Garavan que le drame s’est produit, le  mai.

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