«En quête d’un happy end»
Coucou, le revoilà ! À 56 ans, Philippe Gache reprend du désert au volant d’un Buggy « made in Var » battant pavillon chinois. Pour conclure l’aventure au Pérou sur une note positive, dit-il
Le ton est donné dans le hall d’entrée du vaste bâtiment abritant l’équipe SMG à Fréjus depuis une décennie. Au pied de l’escalier qui conduit au bureau du patron trône en effet une Citroën ZX Rallye-Raid. « Celle avec laquelle Pierre Lartigue a gagné le Dakar », précise Philippe Gache, le maître des lieux. Ainsi, si les véhicules historiques de compétition griffés Porsche, Mazda et Ford, entre autres, se taillent désormais la part du Lion dans les ateliers, l’air du grand large flotte toujours. « Chaque année, nous assurons la préparation des deux Toyota Land Cruiser T officiels qui disputent le Dakar en catégorie Marathon », ajoute le Vauclusien naturalisé Azuréen. «Et puis mon histoire assez contrastée avec le Dakar va connaître un nouvel épisode pour le moins inattendu. » Demain soir, à Lima, Gache, copiloté par l’ami belge Stéphane Prévot, gravira le podium de départ du
Dakar dans le baquet d’un Buggy construit chez lui et engagé par le constructeur chinois Geely. À ans, l’aventure continue...
Philippe, dites-nous, le Dakar, il vous manquait un peu, beaucoup ou pas du tout ? Ah pas du tout ! (Rires) Attention, je ne garde aucune rancoeur par rapport à mes expériences passées, que ce soit en tant que pilote ou constructeur, mais on peut quand même dire qu’il y a peu de bons souvenirs. Pour faire grandir la société SMG, vous savez, je me suis beaucoup investi, j’ai pris des risques, misé très gros sur cette épreuve. À un moment, j’ai décidé de lâcher le volant afin de ne pas porter deux casquettes à la fois, d’être concentré à fond sur la direction du team. Des « pointures » de la discipline ont cru en nous, d’abord Guerlain (Chicherit), puis Carlos (Sainz).
Et alors ? Nous étions sur le point d’aboutir. On détenait deux projets de partenariat très avancés avec des constructeurs (le Chinois Great Wall Motors et l’Indien Mahindra, ndlr). Pour moi, il y avait des accords de principe, donc c’était acquis. Il ne restait qu’à choisir, ou presque... Mais contre toute attente, l’un et l’autre sont tombés à l’eau. Adieu Great Wall, sans explication, tandis que Mahindra a bifurqué vers la Formule E du jour au lendemain. Après le Dakar , nous nous sommes donc retrouvés dans une situation financière préoccupante, pour ne pas dire critique.
Malgré cela, vous
participez à l’édition . Encore une frustration dure à encaisser, non ? Au départ, Nasser Al-Attiyah nous avait contactés car il souhaitait rouler avec le Buggy de Carlos. Projet avorté ! Il choisit de signer chez Mini au dernier moment et je me retrouve avec ce volant sur les bras. Comme Adam Malysz (le Polonais, ancien champion de saut à skis) et Ronan Chabot faisaient partie de l’aventure, j’ai ressorti le casque du placard. Résultat : le Buggy de Malysz prend feu le premier jour (suite à une défaillance des suspensions) et moi je m’arrête aussi dès le lendemain, moteur cassé. Même si Ronan atteint son objectif du général et roues motrices), à l’arrivée, dans ma tête, le Dakar est définitivement rayé de la carte !
Comment ce retour surprise a-t-il pris forme ? Ça s’est décidé il y a moins de trois mois, juste avant le panneau trop tard ! En octobre, j’étais au Rallye du Maroc pour suivre en tant que support technique Han Wei, le pilote chinois auquel nous avons vendu quinze Buggy construits à Fréjus. Après avoir tout gagné chez lui, il donne un nouvel élan à sa carrière avec l’appui de Geely, le constructeur chinois qui a racheté Volvo et Lotus. C’est justement une rencontre avec le patron du département compétition de cette marque, au Maroc, qui a tout déclenché. (Photo Frank Tetaz) Celui-ci voulait engager un second Buggy au Dakar . Moi, j’étais à mille lieues de penser qu’il me demanderait de le piloter. Et voilà... En voiture! Han Wei va découvrir l’épreuve, et je serai son guide, en quelque sorte.
Redémarrer à ans, estce bien raisonnable ? ans, c’est l’âge du vainqueur de l’édition (Carlos Sainz), hein! (Large sourire) Sérieusement, je me sens bien. Affûté. On n’a pas mégoté sur la préparation physique. Remise en forme réussie. J’ai d’ailleurs fait un test d’effort VOMax. Incroyable mais vrai : j’ai les mêmes valeurs qu’à balais, quand je roulais en Formule ... Dans quel état d’esprit abordez-vous cette
participation? J’y vais sans pression. Et même sans objectif. Je ne promets rien à personne. Pour leur baptême du feu en Amérique du Sud, les Chinois ne demandent pas la lune. Ils espèrent voir au moins une voiture à l’arrivée.
À long terme, ils auraient envie de viser la victoire ? Ah oui, telle est leur ambition. Aujourd’hui, en tout cas. Le précédent Great Wall m’incite à la prudence concernant la suite de leur programme. Mais vu l’état de nos rapports, j’ai tendance à penser que chez Geely, ils sont sérieux et ils connaissent le sport auto. Regardez, lorsqu’ils ont repris Volvo, l’implication de la marque en championnat du monde des voitures de Tourisme (WTCR, l’ex-WTCC), a été maintenue.
Au départ, vous n’avez donc aucun objectif ? Si, je veux faire le job correctement. Prendre du plaisir, aller au bout. Et surtout enlever ce goût d’inachevé gardé en bouche depuis . Je souhaite finir sur une note positive. Je suis en quête d’un happy end, quoi !
Combien de kilomètres d’essais au compteur ? Une centaine de bornes à peine ! Et pas vraiment dans le désert... Quand l’assemblage des deux voitures a été achevé, juste avant de les acheminer au Havre pour l’embarquement prévu le novembre, nous sommes allés au circuit du Grand Sambuc, près d’Aix-enProvence. De quoi faire une pointe à km/h, roder le couple conique, la boîte, les freins... Si Han Wei dispute environ dix courses par an, moi, je n’ai plus roulé dans le sable depuis les séances de développement, en .
Ce Buggy, il est très différent de celui avec lequel Carlos Sainz avait brièvement été leader du Dakar en ? Complètement différent. En , quand Han Wei nous a passé commande, on est reparti à zéro pour cette série limitée. Avec des moyens accrus, nous avons pu optimiser le potentiel, châssis et aéro entre autres, peaufiner chaque détail. Plus performante, plus fiable, l’auto actuelle synthétise nos quinze ans d’expérience. En un mot : elle est aboutie.
Le désert péruvien, vous connaissez? Je l’ai déjà vu, mais pas dans la peau d’un pilote. Ma trajectoire volant en main ne compte que deux Dakar sud-américains : et . Christian Lavieille me dit que le sable, les dunes, n’ont rien à voir avec l’Afrique. Moi, je me rassure en pensant à juste titre que nous avons une auto parfaitement adaptée à ce type de terrain. Non ! Ce sera probablement moins dur pour les équipes d’assistance. Mais les concurrents, eux, ils vont en baver, sûr et certains. Avec % de sable au menu, les journées vont durer longtemps, voire très longtemps.
Si on vous demande de miser une pièce sur le vainqueur , qui désignez-vous ? (Du tac au tac) Oh, Nasser, je pense. A priori, OK, le parcours est taillé sur mesure pour les deux roues motrices. Mais les Mini (Sainz, Peterhansel, Desprès) me semblent perfectibles, pas encore au top. Côté Peugeot, il n’y a qu’une vraie cartouche avec Loeb, engagé au sein d’une structure privée. Auront-ils tous les moyens requis pour l’exploitation de cette voiture ? Alors, voilà, sur le papier, Toyota ne fait pas figure de grandissime favori. Mais il me semble que Nasser Al-Attiyah peut enfin les conduire à la victoire.