Colectomie en ambulatoire, chirurgie de demain
Olivier, un Antibois de 57 ans, est le premier patient en Paca à avoir bénéficié d’un protocole associant ambulatoire et récupération précoce après chirugie
Olivier est, de son aveu même, un hyperactif. Il a aussi l’hôpital en détestation. Deux caractéristiques qui expliquent en grande partie ce qui va suivre. A 57 ans, Olivier a toujours souffert de diverticulose. Mais peu enclin à s’écouter, il a longtemps négligé ses symptômes. Jusqu’à ce mois de mai 2018, où il commence à être la proie de douleurs particulièrement violentes. Il veut croire qu’elles vont se dissiper, mais elles s’aggravent. Son médecin l’adresse à l’hôpital d’Antibes : un diverticule s’est perforé, un abcès de 8 cm s’est formé. Il y a quelques années encore, l’issue aurait été un anus artificiel temporaire. Olivier a de la « chance » : les progrès à la fois techniques et thérapeutiques vont permettre de le traiter en urgence par coelioscopie et radiologie interventionnelle : un drain est posé sous scanner qui va permettre de « vider » l’abcès, traitement complété par une antibiothérapie. Soulagé, Olivier n’a qu’une hâte : quitter au plus vite l’hôpital. « Je n’avais plus mal, je tournais en rond, je me disais : il faut que je sorte ». Le chirurgien qui l’a opéré, le Dr Alessandra Bertello, lui rappelle la nécessité de programmer une intervention dite réglée dans les mois qui suivent. Il faut enlever toute la partie du côlon touchée par des diverticules, soit plus de 50 cm. Olivier vit en effet avec une bombe à retardement dans le ventre ; le risque de récidive est extrêmement élevé, avec une issue qui pourrait être fatale. « L’intervention a été programmée pour le mois de septembre. Trois jours d’hospitalisation étaient prévus. “Ah, non, c’est impossible, c’est l’enfer, je ferai l’intervention un jour, mais plus tard !”, me suisje dit. » Son médecin traitant, inquiet, insiste, pour qu’Olivier rencontre à nouveau le Dr Bertello. Celle-ci se souvient encore de l’entretien.
« À nouveau, et comme cela avait été le cas lors de sa première intervention, en mai 2018, Olivier disait ne pas vouloir séjourner à l’hôpital plusieurs jours. C’est là que je lui ai dit : “on peut faire autrement” ». Autrement, c’est-à-dire associer le protocole de RAAC (Récupération Améliorée Après Chirurgie, lire page suivante) à l’ambulatoire. Le Dr Bertello est totalement transparente avec Olivier : « Cela n’a encore jamais été fait en région Paca, il n’y a pas de cadre ! »
Elle lui précise toutefois que, s’ils se lancent dans cette aventure, ce n’est pas sans filet : à tout moment, si Olivier change d’avis, il pourra après l’intervention être hospitalisé de façon conventionnelle. « J’ai ressenti que toute l’équipe était déterminée, très professionnelle et très efficace… Du coup, je n’avais aucune crainte, je me sentais en totale confiance. » Le jour J, Olivier arrive au petit matin à l’hôpital. L’intervention durera environ 2 h 30. À 15 heures, il est debout, prêt à partir. Il n’a pas mal, se sent juste un peu alcoolisé (sensation liée à l’absence de morphine). En fin d’après-midi, il est chez lui. Il échange quelques SMS avec l’anesthésiste. Et il s’endort paisiblement. Au petit matin, il se promène déjà dans les rues d’Antibes.
RAAC. Pour récupération améliorée après chirurgie. Une approche de plus en plus documentée et plébiscitée qui, une fois n’est pas coutume, ne repose pas (complètement) sur des progrès techniques, mais plutôt sur une réorganisation profonde des soins. Une mutation donc de la prise en charge dont le but ultime peut se résumer en quelques mots : réduire les complications postopératoires, quelle que soit la technique chirurgicale : coelioscopie, laparotomie… « Jusque dans les années quatre-vingt, une opération pour traiter un cancer colorectal ou des diverticules perforés – comme celle qu’a subie Olivier (lire page précédente) – impliquait pour le malade de rester plus de 10 jours à l’hôpital, avec des tuyaux partout, de la morphine et l’obligation de rester à jeun pendant 4 à 5 jours. Le taux de complications était d’environ 35 % : infections, fistules, problèmes cardiaques respiratoires… Avec la RAAC, on fait tomber ce taux à 18 %. Et surtout, le patient est beaucoup plus satisfait », résume le Dr Alessandra Bertello, chef du service de chirurgie générale et viscérale de l’hôpital d’Antibes. A l’avant-garde pour ce protocole, l’établissement l’a mis en place depuis 2016. « Nous avons atteint notre objectif grâce à une implication très forte des chirurgiens, et notamment du Dr Negri, des anesthésistes, les Drs Hubert et Fournier, et plus globalement de tous les acteurs hospitaliers et de ville appelés à intervenir : nutritionniste, infirmiers, aides-soignants… »
Réduire le stress avant l’opération
Si, après des années de mobilisation sans trêve, les résultats sont là et réduisent au silence les opposants à la RAAC, ses défenseurs, à l’instar du Dr Bertello, ont dû affronter les scepticismes les plus vifs : «Onse moquait de nous ! On nous disait : “Mais évidemment qu’il est préférable de garder plusieurs jours le malade à l’hôpital, où il est possible de le surveiller !” Il était aussi difficile de faire comprendre qu’avec la RAAC, le malade peut se nourrir jusqu’à 2 heures avant l’opération, et rapidement après, qu’aucune prémédication n’est nécessaire et qu’après l’opération, aucun drain, ni sondes nasale ou urinaire ne sont posées… » Des progrès incontestables qui réduisent donc de façon majeure le risque de complications, et qui sont obtenus et reposent en grande partie sur une réduction du… stress ! En effet, derrière la révolution de la RAAC, il y a un fait scientifique incontestable : le stress est mauvais pour la santé. « Lorsqu’on est stressé avant une opération, le risque de complications postopératoires est plus élevé. » Le stress n’a pas un seul impact psychologique, il produit aussi des effets métaboliques : « il stimule la production de glucagon (hormone hyperglycémiante), qui va indirectement favoriser la destruction cellulaire, notamment au niveau de l’intestin : d’où une diminution de la contraction (paralysie postopératoire) qui augmente le risque d’occlusion intestinale. Au réveil, l’intestin ne se contracte plus, on doit parfois introduire une sonde dans le nez pour stimuler à nouveau les mouvements de l’intestin. » Cette complication (ileus postopératoire), souvent observée suite à une intervention chirurgicale, contraint à maintenir le patient sous perfusion et à jeun pendant 3 à 4 jours. Avec la RAAC, tout ça ne risque pas de se produire : le patient, parfaitement informé de la procédure, acteur de sa prise en charge, et familier des équipes qui vont le soigner, arrive le jour J pleinement confiant. Et peut repartir très rapidement, le lendemain, ou le surlendemain. Voire le jour même, comme cela a été le cas d’Olivier, qui a bénéficié de la RAAC en ambulatoire. Une première dans la région.