« L’administration impose des délais trop longs »
Haut-commissaire aux Droits, aux Libertés et à la Médiation, Anne Eastwood se donne encore trois ans pour parvenir à fluidifier les relations avec le gouvernement. Et il y a du travail...
Àla tête du Haut-commissariat aux Droits, aux Libertés et à la Médiation, Anne Eastwood vient d’être reconduite dans ses fonctions. Nommée par le prince Albert II, elle a d’abord créé et installé l’institution qui offre aux usagers un service hors pair pour trouver des solutions quand ils se heurtent à l’administration. Aujourd’hui, elle entend aller plus loin et veut trouver les réels moyens de fluidifier les échanges entre le Haut-commissariat et le gouvernement.
Vous donnez-vous une mission particulière pour ce nouveau mandat ?
J’ai souhaité être candidate à ma succession pour ce second et dernier mandat car j’ai encore beaucoup d’ambitions pour le Haut-commissariat. Aujourd’hui, après cinq ans, il est un rouage de l’État connu et reconnu, vers lequel les personnes se tournent assez naturellement et en confiance lorsqu’elles rencontrent des difficultés avec l’administration. Avec mon équipe (Cécile Vacarie-Bernard, Christelle Revel et Marisa Blanchy), nous avons travaillé à bâtir une institution forte et indépendante. Nous sommes parvenues à la faire reconnaître à l’étranger, par nos pairs et par les instances internationales. Mais le Hautcommissariat n’est pas encore exploité à son plein potentiel et il lui manque certains outils pour pouvoir mieux jouer son rôle. C’est pourquoi j’ai formulé diverses propositions pour faire évoluer ses missions. Ma priorité sera de faire aboutir ce projet.
Comment ont évolué vos échanges avec l'administration ?
Je n’ai jamais caché que la mise en route de l’institution avait été difficile car l’administration n’a pas, en soi, l’habitude de dialoguer et de composer avec un partenaire extérieur. Nous avons dû affronter des réticences et des lenteurs. À ce jour encore, l’administration ne joue pas pleinement le jeu de la médiation. Or, quand elle ne nous répond pas, ou pas assez vite, c’est forcément l’administré qui en pâtit. Si l’administration ne parvient pas à se discipliner pour nous répondre de façon diligente, il est temps désormais que quelque chose l’y oblige. Cela fait partie des demandes que j’ai formulées dans le cadre des réflexions en cours sur la refonte de notre Ordonnance souveraine. L’administration doit être tenue de nous répondre. Elle impose des délais trop longs pour que l’intervention du Hautcommissariat soit réellement efficace et utile. Avez-vous évalué le taux de satisfaction des administrés ? Nous avons toujours eu un bon taux de retour et l’appréciation portée sur la qualité de nos services est globalement très positive. En revanche, certains pointent à juste titre la longueur des délais d’instruction. Malgré toute notre diligence, nous restons tributaires des délais de réponse de l’administration qui se comptent malheureusement le plus souvent en mois. C’est cela qu’il faut parvenir à changer.
Globalement, comment évoluent les difficultés des administrés ?
Si j’en juge par l’évolution du nombre de saisines, les réclamations sont en hausse
(+ % en cinq ans). Il paraît naturel que leur nombre augmente avec la meilleure connaissance par le public de la voie de recours simple et gratuite qu’offre le Hautcommissariat. On ne peut donc pas en déduire que les choses empirent. Mais s’améliorent-elles suffisamment pour autant ? Certes, l’administration s’emploie la plupart du temps à se corriger lorsque nous mettons en lumière certaines pratiques inadéquates. Mais les administrés expriment un ras-le-bol par rapport au manque persistant d’écoute et de réactivité, aux difficultés pour accéder à l’information et obtenir des réponses et l’impression d’être peu ou pas considéré. Bien entendu, nous ne voyons pas à notre niveau que ce qui dysfonctionne, puisque par définition, ce qui fonctionne ne nous est jamais signalé. Mais il y a malgré tout, clairement, un déficit de dialogue et d’attention portée à l’administré, sur lequel nous alertons le gouvernement depuis plusieurs années.
Le gouvernement vous sollicite-il ?
Il est arrivé que le gouvernement nous consulte sur des sujets bien précis, comme lors des réflexions menées autour de la création du Comité pour la promotion et la protection des droits des femmes. Nos observations ont permis que ce projet soit recalibré pour répondre au mieux aux exigences des conventions internationales, puisque c’est notamment suite à notre avis que la composition de ce comité a été élargie en vue d’associer, au-delà des services administratifs et du Haut-commissariat, l’ensemble des acteurs pertinents de l’État, de la société civile, dont le Conseil national, la mairie et les diverses associations qui oeuvrent pour les femmes à Monaco. Mais cela reste hélas trop occasionnel. Il n’y a pas spontanément de volonté de nous associer aux réflexions sur la conduite des politiques publiques, quand bien même nous avons naturellement un point de vue à faire valoir au travers des réclamations qui nous remontent des administrés ou du prisme particulier qui est le nôtre en matière de droits humains.
Quelles sont vos relations avec le Conseil national ?
Le Conseil national est un partenaire important pour le Hautcommissariat puisqu’il est colégislateur et qu’il exerce par ailleurs un droit de regard sur l’action administrative dans le cadre de ses prérogatives budgétaires. C’est donc un levier de poids pour pousser le gouvernement à concrétiser certaines réformes auxquelles nous l’appelons à procéder dans le cadre de nos recommandations générales. À ce titre, j’ai proposé que nous tenions des réunions de travail régulières pour échanger sur nos actualités respectives et confronter nos analyses. Dans le cadre de notre compétence d’avis, nous sommes également régulièrement consultés par
‘‘
Un déficit de dialogue avec l’administré ”
‘‘ Reconnaissance des couples homosexuels ”
l’Assemblée sur des projets de loi en cours ayant trait aux droits fondamentaux ou l’égalité. En ce moment, par exemple, nous étudions à sa demande le projet de loi qui va instaurer le « contrat de vie commune » à Monaco. Ce contrat, tel qu’il a été conçu par le gouvernement, ne nous semble pas répondre à ce qui devrait être son objectif premier, à savoir offrir une reconnaissance légale et une protection effective aux couples homosexuels ou à ceux qui choisissent de vivre ensemble sans se marier. Nous aurons donc un certain nombre d’observations à faire valoir devant l’Assemblée. Je dois à cet égard saluer le souci de concertation et de transparence du président du Conseil national qui, en nous consultant et en ayant accepté de publier à l’avenir nos avis, permet au Haut-commissariat de jouer tout son rôle d’institution des droits de l’Homme à Monaco. Je regrette que le gouvernement, quant à lui, n’ait pas encore ce réflexe, ou cette volonté.