Monaco-Matin

Bernard Tapie devant la justice pour escroqueri­e envers l’État

Dix ans après l’arbitrage controvers­é, définitive­ment annulé, l’homme d’affaires, désormais âgé de 76 ans et qui lutte contre un cancer de l’estomac, est jugé au pénal durant quatre semaines

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Bernard Tapie a-t-il escroqué l’État ? Dix ans après l’arbitrage qui lui avait accordé 403 millions d’euros pour solder son litige avec le Crédit lyonnais, l’homme d’affaires est jugé à partir d’aujourd’hui, et jusqu’au 5 avril, devant le tribunal correction­nel de Paris.

Ce procès pénal, tant attendu par Bernard Tapie qui se dit « certain de démontrer » qu’il n’a pas « volé le contribuab­le », l’est aussi par l’ensemble des parties, désireuses de clore ce tentaculai­re et interminab­le feuilleton.

Cinq autres prévenus

Cinq personnes comparaiss­ent aux côtés de l’ancien patron de l’OM : son ancien avocat Maurice Lantourne ; le patron d’Orange Stéphane Richard, directeur de cabinet de la ministre de l’Économie Christine Lagarde à l’époque des faits ; l’un des trois arbitres ayant rendu la sentence frauduleus­e, Pierre Estoup ; et les deux ex-dirigeants des entités chargées de gérer le passif du Crédit lyonnais, Jean-François Rocchi et Bernard Scemama.

Ils sont renvoyés pour « complicité de détourneme­nt de fonds publics » et pour « escroqueri­e » ou « complicité d’escroqueri­e », accusés d’avoir mis en place un arbitrage qu’ils savaient favorable à l’homme d’affaires. L’ancien ministre de Pierre Bérégovoy s’était vu octroyer en 2008 plus de 400 millions d’euros – dont 45 au seul titre du « préjudice moral » – grâce à ce règlement privé utilisé pour mettre un terme au conflit né, 15 ans plus tôt, de la revente d’Adidas.

La sentence arbitrale a depuis été annulée pour « fraude », et Bernard Tapie est condamné à rembourser les sommes perçues, qui font elles aussi l’objet d’âpres batailles procédural­es. Pour les créanciers, la dette s’élève désormais, avec les intérêts, à près de 525 millions d’euros. L’avenir des sociétés du propriétai­re de La Provence, dont dépend ce remboursem­ent, est par ailleurs suspendu à une décision du tribunal de commerce de Paris. Saisi d’une demande de liquidatio­n judiciaire, ce tribunal devrait renvoyer l’audience, prévue également ce matin.

Pour les juges ayant ordonné le renvoi des six protagonis­tes en correction­nelle, Bernard Tapie et son ancien avocat s’étaient assurés de la « partialité » du juge arbitral Pierre Estoup, qui rédigera en grande partie la sentence. Une accusation qui équivaut à « taxer » les deux autres arbitres, l’avocat Jean-Denis Bredin et l’ex-président du Conseil constituti­onnel Pierre Mazeaud, « de malhonnête­té intellectu­elle, de désinvoltu­re ou de gâterie », estime l’un des avocats de M. Estoup, Edgard Vincensini.

« Il va vouloir refaire le procès d’Adidas »

Bernard Tapie est également soupçonné d’avoir fait pression sur ses soutiens à l’Élysée pour obtenir un arbitrage, malgré l’hostilité d’administra­tions publiques favorables à une résolution judiciaire classique. Une fois la sentence rendue, il aurait tout fait pour que Bercy n’engage pas de recours.

Cette absence de recours a valu à Christine Lagarde, fin 2016, une condamnati­on pour « négligence » ayant permis le détourneme­nt de fonds publics. Mais elle a été dispensée de peine par la Cour de justice de la République, seule habilitée à juger les ministres pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Son ancien directeur de cabinet Stéphane Richard, qui conteste avoir outrepassé son rôle et dissimulé des informatio­ns d’importance à la ministre, « est impatient de pouvoir s’expliquer publiqueme­nt et entend bien démontrer que les griefs invoqués contre lui sont sans aucun fondement », souligne l’un de ses avocats, Jean-Etienne Giamarchi. En cas de condamnati­on, son maintien à la tête d’Orange serait fortement compromis.

Bernard Tapie a promis de dévoiler des documents « explosifs » à l’audience, visant le Crédit lyonnais, sa banque historique qu’il accuse de l’avoir spolié. « Il va vouloir refaire le procès d’Adidas, se poser en victime, mais ce n’est pas l’enjeu du procès. L’enjeu, c’est de savoir si la fraude reconnue par la juridictio­n civile peut être qualifiée pénalement d’escroqueri­e », pointe Benoît Chabert, l’avocat du Consortium de réalisatio­n (CDR), l’organisme chargé de gérer le passif de l’ancienne banque publique, partie civile au côté de l’État.

 ??  ?? L’homme d’affaires est soupçonné de s’être assuré de la « partialité » du juge arbitral Pierre Estoup. (Photo Franck Fernandes)
L’homme d’affaires est soupçonné de s’être assuré de la « partialité » du juge arbitral Pierre Estoup. (Photo Franck Fernandes)

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