Aurélie Filippetti : «La politique est confisquée par une caste»
L’ancienne ministre socialiste de la Culture, qui a abandonné la politique pour l’enseignement et l’écriture, va débattre avec les étudiants de Sciences Po Menton sur « les idéaux et le pouvoir »
Al’invitation des étudiants, Aurélie Filippetti donnera, demain à 17 h 45, à Sciences Po Menton, une conférence sur « Les idéaux dans la pratique du pouvoir ». Un thème que l’ancienne ministre socialiste de la Culture, agrégée de lettres classiques, connaît bien, elle qui a abandonné l’an dernier la politique active pour renouer avec l’enseignement et l’écriture, en publiant Les Idéaux, roman à clés inspiré de ses désillusions.
Vous ne regrettez toujours pas d’avoir quitté la politique ?
Pas du tout. Je trouve que la situation est politiquement très désespérante, surtout pour les gens de gauche. J’ai une autre forme d’engagement.
Vous êtes attachée à la démocratie citoyenne. Le mouvement des « gilets jaunes » vous a-t-il inspirée ?
J’ai trouvé cela rassurant, au regard de la vraie demande de démocratie exprimée par ceux qui sont trop souvent oubliés. Ils ont aussi une aspiration à être respectés ; je trouve donc ce mouvement très intéressant.
Et il m’a confortée dans l’idée que la politique peut se faire, aujourd’hui, en dehors des partis.
Qu’attendez-vous comme restitution du Grand Débat ?
Je n’en attends pas grand-chose. Le débat démocratique avait déjà eu lieu autour des « gilets jaunes ». Actuellement, on assiste surtout à une tentative de récupération et de confiscation. J’ai plutôt des craintes sur la façon dont ce Grand Débat va être instrumentalisé pour faire passer des idées sur la réforme constitutionnelle, par exemple la réduction du nombre de parlementaires voulue par Emmanuel Macron. Ce serait une fausse bonne idée : en France, le problème n’est pas, aujourd’hui, le nombre de parlementaires mais le pouvoir écrasant et presque sans limite de l’exécutif, en particulier du président de la République.
Faut-il, en revanche, introduire une dose de proportionnelle ?
Oui, mais il fait surtout revaloriser le pouvoir du Parlement. Il faut donner plus de pouvoir à la démocratie parlementaire, à la démocratie locale et à la démocratie participative. Je suis favorable à une nouvelle étape de décentralisation, à des méthodes de concertation avec les citoyens. On peut faire tous les changements qu’on veut sur la manière d’élire les députés, s’ils n’ont pas de pouvoir réel, cela ne changera rien à l’extrême centralisation dont souffre la France. J’aimerais que soit introduite une dose de tirage au sort dans l’élection des sénateurs, pour que des citoyens puissent siéger au Sénat. Chaque citoyen aspire à participer à la vie politique. Il y en a assez qu’elle soit confisquée par une petite caste d’énarques et de technocrates qui se ressemblent tous.
Le RIC ?
Il est une solution, mais pas la seule. Il faut aussi développer les assemblées de citoyens, les budgets participatifs, les conférences citoyennes sur les sujets scientifiques ou l’écologie…
Faut-il réformer l’architecture des collectivités territoriales ?
Oui, notre millefeuille territorial est trop compliqué. On a une carence de démocratie dans les intercommunalités, notamment les métropoles, qui ont de plus en plus de pouvoir. Il va falloir modifier le mode d’élection des présidents d’intercommunalités, pour qu’ils soient élus directement par la population. J’ai toujours été favorable à la régionalisation et à la suppression, non de l’échelon départemental, mais du conseil départemental. Avec la réforme qui a accouché des grandes régions, catastrophe pour la proximité, il faut aller dans le sens de plus de transferts de compétences aux collectivités territoriales et, en particulier, aux régions.
Le message que vous allez délivrer aux étudiants ?
De s’engager, de conserver leurs idéaux, ce qui ne passe pas forcément par la politique, mais par la vie citoyenne.
Il ne faut rien lâcher !