« La première thérapie du malade, c’est l’humain »
Le docteur Patrick Errard, président de la cinquième édition de e-healthworld Monaco, croit farouchement au développement de la e-santé. Mais il en souligne également les limites
E-healthworld Monaco a été, durant deux jours, un véritable lieu d’échanges, de rencontres, de réflexions, et – osons le mot – d’intelligence humaine autour de l’intelligence artificielle (IA).
Hier matin, le docteur Patrick Errard, président de cette cinquième édition, a présenté l’IA dans ses perspectives à court et long terme, pragmatiques et philosophiques. Un point d’orgue du congrès où le past-president du syndicat du milieu pharmaceutique LEEM, également président de la Commission innovation du Medef et directeur général d’Astellas, s’est adressé aux congressistes.
Si la santé connectée fait agiter les neurones, les questions d’ordre déontologique, social, médical sont très nombreuses. Rencontre avec le docteur Patrick Errard.
À partir de quand une idée devient-elle une innovation ?
Il faut, selon moi, une accessibilité au plus grand nombre – si possible à l’échelon planétaire – et qu’elle soit perçue comme telle par les utilisateurs.
Va-t-on davantage encore vers une santé à deux vitesses ?
Mécaniquement du fait de l’origine même de la recherche, là où elle se situe et là où elle se développe. Et du fait de son coût incrémental. Il n’y aura peut-être pas une médecine à deux vitesses mais deux planètes de la médecine, c’est évident.
Avec la e-santé, l’économie de la médecine n’est-elle pas bouleversée dans ses paradigmes ?
Oui et non. La création de valeurs détruit de la valeur. Il faut donc savoir quelle est l’efficience de ce que vous inventez. S’il s’agit juste de créer un service ou un plaisir de plus, c’est un coût brut supplémentaire. Mais si la création est efficiente au sens où elle permet d’améliorer de l’existant, alors une partie de son coût incrémental est absorbée par ce qu’elle détruit. Par ailleurs, nous vivons sur une planète régie par des règles économiques de type libéral, c’est-àdire que la compétitivité fait la loi. Par conséquent, tout ce qui est innovant est amené à ne plus l’être puisqu’amené à rentrer en compétitivité avec un produit semblable ou meilleur. C’est une des rares vertus du monde libéral de provoquer par l’effet économique de compétition une déflation économique des prix malgré l’évolution de la technologie. C’est donc assez rassurant. Néanmoins, le coût de l’innovation sera fatalement, du moins au début, beaucoup plus élevé que ce qui existait auparavant. Or, dans notre culture judéo-chrétienne, on part du principe que la vie n’a pas de prix ; mais elle a un coût ! Il faut donc se poser la question de savoir à partir de quand on ne peut plus la soutenir.
L’évolution exponentielle du numérique ne creuse-t-elle pas le fossé entre les possibilités techniques et les compétences des médecins ?
Je crois beaucoup en la génération spontanée. Ceux nés à partir des années sont nés avec la technologie. La phase d’apprentissage est quasiment dans leurs gènes. Mais il y a un phénomène de fin de cycle. Nous sommes dans cette phase. L’innovation
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La santé n’a pas de prix mais elle a un coût ”
est un cycle.
L’IA heurte aussi l’éthique…
Les problèmes sont de trois ordres. D’abord la protection des données. Mais il faut aussi raison garder. Certes, il est essentiel de s’assurer de la sécurité des données. Mais il ne faut pas tomber dans l’excès. Sinon, nous nous retrouverions avec un handicap de compétitivité monstrueux. La deuxième question est la frontière entre le transhumanisme – c’est-à-dire augmenter la performance de l’être humain par l’éviction de maladies ou de handicaps génétique – et l’eugénisme dans lequel il ne faut absolument pas tomber évidemment. La dernière question éthique, c’est percevoir quand on perd le contact avec le patient. La première thérapie du malade, c’est l’humain. Il faut faire attention, avec toutes les techniques qui enrobent de machines intelligentes d’acier le patient, que celui-ci ne se sente pas oppressé, lui qui l’est déjà avec sa maladie. C’est là la nouvelle place de la médecine. Que celui qui est de corps, de chair et d’esprit vienne au secours du patient pour accompagner son traitement et l’aider à croire en sa guérison. Je crois profondément à cela.