« Entre médias et citoyens, l’enjeu c’est la proximité »
Questions à Eric Scherer, spécialiste des médias
Il a coiffé tour à tour les casquettes de journaliste et dirigeant de médias, de Reuters à l’AFP, en France comme à l’étranger. Eric Scherer, aujourd’hui directeur innovation, prospective et médialab de France Télévision, est venu évoquer la crise de confiance des médias, lundi soir à Nice, à l’invitation du Mas Nice-Matin. Diagnostic et remèdes.
La crise de confiance que rencontrent les médias est-elle sans précédent ?
Oui, dans la mesure où elle est extrêmement importante, et où ça ne s’arrange pas. Elle touche l’ensemble des corps intermédiaires de la société : syndicats, partis politiques, l’Eglise par le passé, et aujourd’hui les médias et journalistes – parfois plus fortement encore. La crise des “gilets jaunes” le montre : cette défiance est forte, nous questionne et appelle des réponses pour renouer avec les citoyens.
Sur les tensions avec les “gilets jaunes”, à qui la faute ? Aux adeptes des théories complotistes ? À des médias pas exempts de tout reproche ?
Le plus choquant, ce sont les agressions physiques sur les rondspoints. Mais la défiance à l’égard des journalistes, qui s’exprime là de manière violente, est latente. Tout le monde est un peu responsable : ceux – citoyens ou politiques – qui aiment à s’abreuver de complotisme, mais aussi les rédactions qui, trop souvent, ont vécu en vase clos, sans entendre les populations ni déceler des mouvements de société. La presse américaine n’a pas vu monter Trump. La presse britannique n’a pas vu monter le Brexit. Et la presse française n’a pas vu monter les “gilets jaunes”.
Pourquoi les “fake news” prolifèrent-elles plus vite que des infos vérifiées ?
Parce qu’elles jouent sur d’autres ressorts, qui fonctionnent bien plus efficacement : l’émotion, le sensationnalisme, le complotisme, le sexy... Ce qui m’inquiète, ce n’est pas tant le problème des “fake news”. C’est le fait que l’on arrive de moins à moins à atteindre les gens avec de vraies “news”, face à la défiance et la distance.
Quelles solutions préconisez-vous ?
L’enjeu, c’est de renforcer la proximité. Cela passe par l’instauration de vraies conversations entre les journalistes et leur public : partage d’une partie de la conférence de rédaction, effort de transparence sur la fabrique de l’info – même si les journalistes n’aiment pas montrer les arrières-cuisines. Autres pistes : la création et l’animation de communautés par les journalistes. L’explication du traitement de l’info. L’implication du public dans la co-création du contenu. Et la création de nouveaux business models, faisant davantage appel au lien avec le lecteur via le crowdfunding, comme vous l’avez déjà fait (). 1. En 2014, les salariés du groupe Nice-Matin avaient fait appel au financement participatif pour reprendre leur entreprise.