Jean-Luc Allavena face au Press Club
Le Monégasque, ex-directeur de cabinet du Prince Albert II et homme d’affaires international, livre sa vision du monde en proie à de multiples tensions politiques, économiques et sociales
Cinquante membres et invités du Monaco Press Club se sont réunis, vendredi matin, au Yacht-Club, autour de JeanLuc Allavena, interviewé par les journalistes. Une rencontre qui a suscité beaucoup d’intérêt et au cours de laquelle le Monégasque et homme d’affaires international, à la lumière de ses expériences et analyses, a brossé un large tableau du monde économique et politique actuel.
Les grandes puissances vivent dans l’instabilité permanente. Quel regard portez-vous sur ce monde ?
Nous voyons effectivement un chaos. J’ai souvent l’impression que nous mettons beaucoup de volonté et d’efforts à détruire ce que nous avons mis tant d’années à construire, en particulier depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de gouvernance dans le monde. Il y a des conflits locaux ou globaux qui se développent au Proche et Moyen-Orient, la zone pacifique s’annonce dangereuse,... Cela donne une sensation de danger ou du moins d’instabilité qui nous préoccupe tous. Nous avons la chance, à Monaco, d’avoir un pays avec une identité forte, avec, aussi, un nombre important de nationalités différentes, ce qui incite, très tôt, à regarder ailleurs et à apprendre le monde. C’est comme cela que j’ai conçu mon propre parcours, entre un attachement extrêmement fort à mes racines et le regard curieux qui me pousse dans beaucoup d’endroits.
Quelles sont les conséquences de cette instabilité sur les marchés financiers ?
Les marchés financiers ne sont que la traduction de ce qui se passe autour de nous dans le monde. Mais heureusement, leurs fondamentaux restent sains pour trois raisons essentielles. Tout d’abord, l’économie mondiale continue à croître.
De plus, cette économie est soutenue par des taux d’intérêt très faibles ; donc l’investissement productif est encouragé. Enfin, certaines zones géographiques notamment l’Asie conserve une croissance élevée qui compense celle, plus modérée, des pays développés. Donc rien aujourd’hui n’atteint ces marchés financiers. Mais nous avons l’impression que tout peut arriver...
Vous êtes membre du Franco-British Council, une organisation qui fait la promotion du dialogue entre la France et le Royaume-Uni. Quels sont, selon vous, les vrais risques du Brexit ?
Le Brexit est l’exemple qui prouve précisément que tout peut arriver.
Rien de manière concrète ou factuelle n’incitait les Britanniques à aller vers un tel vote ni les dirigeants à initier le référendum. David Cameron, durant l’hiver /, a beaucoup plus poursuivi des objectifs liés à son parti et sa propre réélection avec les suites que l’on connaît... On voit donc qu’un seul homme est susceptible de mettre en danger l’ensemble d’une nation voire, de manière plus large, des populations beaucoup plus importantes à l’échelle européenne. Cela veut dire aussi qu’il faut se poser la question de savoir où cela pourrait à nouveau
‘‘ arriver. Ce qui me frappe le plus, c’est que depuis le juin , la leçon n’est pas plus apprise que cela puisqu’à trois reprises, le parlement britannique a continué de rejeter un accord avec l’UE qui permettrait pourtant de respecter l’envie d’indépendance du Royaume-Uni en maintenant l’essentiel des liens pour les personnes physiques, ainsi que la coopération économique et douanière. Mais on est bel et bien en direction d’un no deal pour le octobre. On peut espérer que les mois qui restent vont être mis à profit pour l’éviter car toutes les analyses économiques montrent qu’il y aurait, en moins de dix ans, une baisse minimale de à points de PIB pour les Britanniques. Ce qui pourrait se traduire par un million d’emplois perdus. Et pour les Européens, d’un basculement de nature géopolitique qui fait que les Britanniques, de manière naturelle, seraient attirés davantage vers les États-Unis que vers les autres pays européens.
Vous présidez l’Institut Aspen France réunissant des responsables de tous horizons qui réfléchissent aux grands enjeux contemporains et s’engagent pour l’avenir. Et vous venez de recevoir Pascal Lamy, ancien directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce et président du prochain Forum de Paris sur la paix. Quelles solutions sont imaginées pour le problème des migrants ?
Ce problème ne se résout pas en fermant les frontières à l’arrivée mais en le traitant à sa source. Cette situation n’est pas uniquement liée à des conflits, mais aussi à un problème de surpopulation, d’économie, de populations qui vivent sous le seuil de pauvreté et qui veulent tout simplement trouver meilleure vie ailleurs.
La question est :
« Comment les pays européens, les États-Unis ou la Chine peuvent contribuer, pour qu’à la source, ce phénomène d’immigration soit résolu ? » D’abord économiquement.
La Chine par exemple, qui détient environ % de la dette des États africains, est progressivement en train de tirer un trait sur une partie de cette dette afin que les pays puissent sortir la tête de l’eau et se développent.
La seconde façon d’agir est d’intervenir dans les zones dans lesquelles, soit le seuil de pauvreté, soit les risques de conflits sont les plus élevés ; c’est ce que font généralement les grands États, parfois de manière un peu désordonnée. C’est ainsi qu’Hubert Védrine, qui est aussi venu à Aspen, suggérait que les pays européens adoptent une politique commune face aux migrants et qu’elle soit beaucoup plus coordonnée. Ce serait une façon de relancer une vraie cohésion européenne.
Trouver une cohésion européenne pour faire face aux deux géants que sont la Chine et les ÉtatsUnis ?
La Chine entend jouer un rôle et développer ses positions un peu partout dans le monde, à un moment où les États-Unis, au contraire, marquent un recul. D’ici dix ou vingt ans, l’influence de ces deux pays qui se touchent par le Pacifique entraînera de manière inéluctable des tensions très fortes, voire des conflits, parce que les intérêts politiques et économiques sont extrêmement importants. La Chine s’exprime par ses entreprises, sa croissance se poursuit, sa population proche d’un milliard et demi va continuer à croître. Mais elle se rend compte que l’autre puissance potentielle, c’est l’Afrique qui comptera en , , milliards d’habitants. C’est pourquoi, elle y investit de plus en plus depuis une bonne vingtaine d’années.
On voit très bien poindre à l’horizon trois grandes zones d’influence : la Chine, l’Afrique et les ÉtatsUnis. Notre historique et belle zone européenne a malheureusement un rôle un peu ingrat dans les
décennies à venir…
La politique de Donald Trump n’entrave-t-elle pas le rôle des États-Unis ?
Les États-Unis viennent de connaître une décennie de croissance ininterrompue ; du jamais vu dans la période contemporaine. La politique de Donald Trump est suffisamment bien perçue par une partie des Américains pour qu’aujourd’hui, à dix-huit mois des élections, le président puisse parfaitement être réélu. D’autant qu’en face, chez les démocrates, aucun candidat n’émerge. Nous sommes très loin du charisme de Barack Obama...
En moins de dix ans, le Brexit pourrait se traduire par un million d’emplois perdus”