Affaire Kerimov : un avocat antibois en prison
Après un mandataire de Valbonne, c'est au tour d’un avocat d'Antibes d’être placé en détention dans le cadre de la vente en sous-main de la villa « Hier » au milliardaire russe Kerimov
Il plaidait lundi au tribunal de Monaco. Il a été convoqué mardi après-midi par un juge d'instruction de Nice. Il s'est retrouvé le soir même en prison. Me Guy Ferreboeuf, 74 ans, est le quatrième avocat azuréen à être inquiété par la justice au sujet de la tumultueuse succession de la riche famille Borghetti.
Feu Jacques Borghetti était l'ancien directeur général de Renault Suisse. Il a toujours été allergique à toute déclaration fiscale et sa phobie administrative a été, semble-t-il, transmise à ses héritiers.
L'enquête a démarré en 2014. Elle avait déjà conduit un avocat, Me Stéphane Chiaverini, en détention provisoire pendant huit mois. La justice reprochait à l'avocat azuréen un montage complexe de sociétés off-shore pour permettre à ses clients d’échapper au fisc.
Fraude fiscale, escroquerie et dissimulation…
L'affaire s'enlisait jusqu'à la mise en examen de l'oligarque et sénateur russe Suleyman Kerimov pour complicité de blanchiment de fraude fiscale. Un agent immobilier, un notaire, un avocat, les membres de la famille Borghetti se retrouvent à leur tour dans la tourmente. On parle désormais de « l’affaire Kerimov », du nom d'un de ce milliardaire russe (sa fortune est estimée à plus de 6 milliards) que la justice niçoise soupçonne d'avoir acheté en sous-main, via un intermédiaire suisse, la somptueuse villa "Hier" du Cap-d'Antibes. La procédure, dans un premier temps classée en grande partie par les magistrats de la cour d'appel d'Aix-enProvence, est manifestement relancée depuis mars avec des mises en examen en cascade. Me Gilles Gauthier, mandataire judiciaire chargé de la liquidation des biens de la famille Borghetti, s'est retrouvé le 9 mai mis en examen et placé en détention provisoire. La chambre de l’instruction l’a rapidement remis en liberté mais il reste sous contrôle judiciaire et interdit d’exercice. Cette fois, c'est Me Ferreboeuf, très lié à Me Gauthier en affaires, qui est poursuivi entre autres, pour "fraude fiscale, escroquerie en bande organisée, dissimulation du produit d'un délit…" Cet avocat d'Antibes a été longtemps témoin assisté dans cette enquête. Sa mise en examen, mardi soir, par un juge d'instruction de Nice ressemble à un nouveau coup de tonnerre. « Son placement en détention est, selon nous, totalement injustifié pour quelqu’un qui n’a pas de casier judiciaire. Nous avons aussitôt fait appel », indique Me Sophie Bechthold, son conseil.
Des cautions à plusieurs millions
Le juge des libertés et de la détention a incarcéré cet avocat expérimenté spécialisé dans les successions (notamment celle des héritiers Picasso). C'est justement la succession de la riche famille Borghetti qui continue de déchaîner les foudres de la justice. 92 millions d'euros auraient échappé au fisc et nombre d'intermédiaires (avocats, mandataire, liquidateur, notaires, agents immobiliers…) sont soupçonnés d'avoir touché de confortables dessous-de-table. Au coeur du scandale, la somptueuse villa "Hier", achetée en 2008 officiellement 34 millions d'euros, aurait en réalité été acquise 129 millions. Après s'être fait tirer l'oreille, le ministère du Budget, le seul à pouvoir déclencher les poursuites en matière fiscale, s'est décidé à permettre aux juges d'instruction niçois de travailler. Au printemps, le sénateur Kerimov et l'homme d'affaires Alexander Studhalter ont été à nouveau convoqués, mis en examen et laissés libre moyennant 20 millions d'euros de caution pour l'un, 10 millions d'euros de caution pour l'autre. « Un acharnement judiciaire », dénonce l'homme d'affaires suisse qui a déposé des requêtes en nullité de sa nouvelle mise en examen, la cinquième. Les précédentes ayant toutes été annulées.
Trop peu de signalements
Ces malversations financières aux montants vertigineux révèlentelles un mal plus profond chez ces professionnels azuréens ? De mauvaises habitudes enkystées ont-elles contribué à un sentiment d'impunité ? On se souvient que le parquet de Nice avait provoqué en novembre 2017 des réunions d'information et de prévention pour rappeler chacun à ses devoirs, s’étonnant du peu de déclarations de soupçons à Tracfin, l’organisme de lutte contre la fraude et les circuits financiers clandestins. Le groupe d'intervention régional, le GIR Paca (unité où travaillent ensemble policiers, gendarmes, douaniers et inspecteurs des impôts) avait estimé entre 500 millions et 750 millions d'euros les sommes blanchies par Suleyman Kerimov dans des opérations immobilières. Et cette fraude fiscale hors normes aurait été organisée avec la bénédiction rémunérée de notables azuréens.