Monaco-Matin

« Ceux qui exploitent cette tragédie familiale n’ont aucune excuse »

Eric Kariger fut le médecin en charge du quadragéna­ire jusqu’en 2014 à Reims, et avait déjà décidé d’arrêter les soins en 2013. Il regrette que son cas soit aujourd’hui encore l’otage d’une controvers­e

- PROPOS RECUEILLIS PAR SAMUEL RIBOT

Comment réagissez-vous à la décision de la cour d’appel de Paris ?

J’ai ressenti une émotion très violente, même avec le recul qui est le mien aujourd’hui. Il se trouve que, le  mai , j’avais moi-même été contraint de « rebrancher » M. Lambert à la suite d’une décision de justice. A l’époque, on était totalement seuls : il n’y avait pas de verrou judiciaire, la direction de l’établissem­ent ne nous soutenait pas. Je me mets à la place du docteur Sanchez et de son équipe, et je pense bien sûr aux proches de Vincent Lambert, qui pensaient être arrivés au bout de ce long processus. Ce nouveau délai m’apparaît comme un temps inutile, un temps de gâchis, un temps de souffrance.

Avez-vous été choqué par les images de liesse qui ont accompagné cette annonce ?

Ce côté euphorique, cette perte de dignité me désolent. Je considère pour ma part qu’à chaque étape de cette affaire, il n’y a jamais de gagnants, mais des perdants, qui sont Vincent Lambert et ses proches. Je suis aussi choqué par le nombre d’énormités qu’on peut entendre depuis quelques jours, alors que le discours réfléchi et modéré des membres des communauté­s scientifiq­ue et juridique est inaudible. Je suis enfin révolté par la vidéo qui a été mise en ligne, et qui montre malheureus­ement que l’état de Vincent n’a absolument pas évolué.

Pensiez-vous, en , lorsque vous avez quitté le CHU de Reims et Vincent Lambert, que la situation pourrait perdurer jusqu’à aujourd’hui ?

Sincèremen­t, non. Quand je suis parti, on estimait que le délai d’examen devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) prendrait deux ans. Mais je sous-estimais deux choses : d’abord cette possibilit­é de remettre en cause des décisions médicales sous prétexte que le praticien a changé, ce qui est aberrant mais qui s’est pourtant produit. Ensuite, le fait qu’alors que tout a été qualifié, que nous disposons de décisions de la CEDH et du Conseil d’Etat, que l’épouse et tutrice légale, c’est-à-dire la représenta­nte patrimonia­le et légale d’un patient, a donné son accord à une décision collégiale d’arrêt des soins, n’importe quel membre de la famille peut faire appel.

Vous en voulez aux parents ?

Non. Ils ont leurs responsabi­lités, bien sûr. Mais je les connais, et j’ai des éléments de compréhens­ion humaine qui me permettent d’appréhende­r leur fonctionne­ment, même si je ne partage pas leur point de vue. En revanche, ceux qui les manipulent, qui exploitent cette tragédie familiale, ceux-là n’ont aucune excuse.

Les parents Lambert vous avaient poursuivi pour assassinat, et menacent de faire de même avec l’actuel médecin en charge de Vincent Lambert…

C’est un jeu d’intimidati­on auquel il ne faut pas céder, même si je comprendra­is qu’à un moment, le docteur Sanchez considère que sa situation est devenue insupporta­ble. Mais il existe aujourd’hui un solide corpus de décisions judiciaire­s et d’expertises médicales, toutes de très haute qualité, qui valident la décision prise par mon confrère.

Au-delà du cas Lambert, il semble que, dans de nombreux cas, on obtienne un consensus entre les familles et le personnel médical. Cela reflète-t-il votre expérience ?

Bien sûr, et je m’en réjouis. Le vrai problème, c’est qu’en l’absence de consensus familial, lorsqu’il existe une situation d’obstinatio­n déraisonna­ble, c’est cette dernière qui gagne.

Or, on attaque rarement un médecin qui laisse vivre un patient en se rendant coupable d’obstinatio­n déraisonna­ble, alors que c’est une faute.

Vous vous définissez comme « un médecin chrétien ». Quel cheminemen­t personnel aviez-vous suivi pour prendre la décision d’arrêter les soins de Vincent Lambert ?

Nous étions dans une situation d’obstinatio­n déraisonna­ble, ce qui est condamnabl­e pour tout médecin sur le plan déontologi­que comme sur le plan légal. Et il se trouve que mes valeurs personnell­es, chrétienne­s et humanistes, sont totalement en phase avec les critères qui définissen­t cette obstinatio­n déraisonna­ble. Je n’ai eu à l’époque aucun état d’âme avec ça. Et le temps n’a fait que consolider ma position.

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(DR)

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