Monaco-Matin

« Marre des excuses... »

Pas à la fête, Renault, ces temps-ci. Mais Cyril Abiteboul, le boss, ne désarme pas, au contraire !

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE DEPIOT

Avec Cyril, on se voit une fois l’an, quand il est de passage à Monaco pour le GP, le temps d’un café et quelques questions, à l’heure du déjeuner, dans le motor- home jaune et noir.

En ce printemps qui tire difficilem­ent à sa fin, les résultats

– TRÈS – décevants ont dessiné à leur tour de gros nuages dans le ciel de Renault. Comme autant de louches de grimace, rajoutées dans une soupe qu’on nous prédisait savoureuse... La faute à une bielle mal pensée ou dessinée, laquelle a plombé jusqu’ici, le moteur pourtant – TRÈS – performant des F au losange. ‘‘Performant’’, ce n’est pas nous qui le disons, mais Alain Prost (qui sait de quoi il parle) et donc Cyril.

L’avarie ayant été diagnostiq­uée et désormais éradiquée côté mécanique, reste encore à soigner l’aéro pour revenir – ENFIN – tutoyer le Top  (Mercedes/Ferrari/Red Bull), objectif affiché du clan français. Et là... Ça reste une autre paire de manches ! De tout cela et plus encore, Cyril Abiteboul a bien voulu nous parler : franc et ferme le boss... Certaines oreilles vont siffler !

Cyril, si l’on vous dit trivialeme­nt que Renault «estencoreà­larue» après les essais de jeudi, vous acquiescez ?

Non… Dites pas ça ! Jeudi, le matin, on était très bien. Après, quand on met les ‘‘medium’’ (pneus) l’aprèsmidi, on est aussi super. Ensuite, on passe les ‘‘soft’’ (tendres) et là on n’est plus bien du tout…

On a donc raison…

J’avoue qu’on a fait des erreurs de set-up (réglages) mais bon… J’en ai marre des excuses ou des explicatio­ns ! Ce qu’il faut maintenant, c’est démontrer quand ça compte, le samedi en qualif ou en course, ce qu’on est capable de faire !

Quand vous dites « J’en ai marre des excuses », lesquelles et de qui ?

Vous me dites « mauvaise je vous réponds,

journée »,

« les réglages n’étaient pas bons »… Mes équipes me disent ça, élégamment… Mais ce samedi après-midi, il n’y aura plus d’excuses !

Après vos déboires dus à

la bielle, vous avez imposé une baisse du régime moteur. A Monaco, vous roulerez à fond ?

Oui, on aura une performanc­e moteur, presque au niveau des meilleurs.

Ce problème de bielle, c’est la faute d’un ingénieur, on a identifié le coupable, on l’a viré ?

[rires] Non, parce que le coupable a eu la responsabi­lité de trouver la solution et il l’a fait ! En cinq semaines, on a validé la solution et fabriqué des pièces suffisante­s pour fournir  moteurs à Barcelone. Mais le coupable c’est quoi ? C’est la course au temps, la course aux moyens aussi, la course au rattrapage. Cet hiver, il y a eu un énorme engagement sur la performanc­e moteur. On a décidé de tout miser là-dessus pour combler l’écart avec les meilleurs et ça a marché. Hélas, quand on s’occupe de ça, on ne fait pas tous nos processus habituels de validation de la fiabilité…

L’an passé vous nous disiez être à  ou  chevaux de retard sur Mercedes…

Et là je vous dis : on est à zéro ! En course on est au même niveau, en qualifs on aura encore quelques écarts mais des évolutions viendront les combler.

Le problème, ça reste donc l’aéro, le châssis ?

Ça reste le châssis, oui. Mais vous savez, il y a quatre ans quand on a repris Lotus, on était presque à  chevaux d’écart ! Là, on est quasiment au niveau quatre ans plus tard.

Le châssis, c’est l’affaire d’un ingénieur ?

Non, c’est un ensemble. Mais il faut en revanche des leaders charismati­ques qui comprennen­t ce qui se passe. Côté moteur, on a Rémi Taffin à ViryChâtil­lon. On a aussi besoin qu’à Enstone (Angleterre, départemen­t châssis), quelqu’un se dégage et cet homme, c’est Marcin Budkowski. Il est en place depuis quelques mois et c’est sa responsabi­lité d’impulser la performanc­e.

On imagine que vous aviez vendu un autre début à Ricciardo ?

Pas tant que ça. J’avais vendu à Daniel un projet clair à moyen et long termes, même si on ne lui avait effectivem­ent pas vendu un tel début de saison…

Il est déçu, non ?

On est en deçà de ses attentes et de nos attentes, oui. On lui a dit qu’il serait derrière Red Bull, qu’il ne ferait pas de podiums à la régulière cette saison. Mais qu’il nous aiderait dans la constructi­on du châssis et c’est ce qu’il fait. La voiture a évolué selon ses désirs.

À  millions d’euros par saison, il peut patienter…

C’est pas un bon chiffre ! C’est largement exagéré… Je le connais quand même bien, son chiffre [rires].

C’est quoi le bon, alors ?

Ah, ce serait trop facile…

Sans langue de bois, comment avez-vous vécu l’épisode Carlos Ghosn, au sein de l’écurie ?

Sur une question comme ça, vous comprenez que c’est difficile de répondre…

Vous êtes passé de  à  personnes à Enstone. Faut-il tant de monde et d’argent pour être performant en F ?

Je vous réponds qu’on est encore  % derrière Mercedes…

La F n’est-elle pas une usine à gaz où l’on dépense sans compter pour qu’une voiture et un pilote passent la ligne en premier le dimanche ? N’est-ce pas irresponsa­ble ?

Si vous me posez la question : est-ce que ça a du sens ? Non, ça n’a pas de sens. Mais, on veut tous quelque chose et son inverse. On veut une F qui ait du sens, qui soit technologi­que, avec les moteurs les plus avancés de la planète… C’est déraisonna­ble oui. Et on appelle en permanence les instances à simplifier, standardis­er, augmenter la durée de vie des pièces, stabiliser les règlements !

Ça se chiffre quand même en centaines de millions par écurie…

‘‘ En F, tout ce qui nous préoccupe, c’est de maîtriser le sillage du pneu. On se bat tous à coups de centaines de millions sur ça ! ’’

Vous voulez un scoop ? Les centaines de millions d’euros, voire des milliards d’euros dépensés par l’ensemble des écuries, ils le sont pour contrôler le sillage du pneu !

Quoi, la trace ?

Non, non, le sillage aérodynami­que du pneu. Quand on dit qu’on va développer l’aéro d’une voiture, c’est quoi ? C’est tout simplement sa capacité à générer le moins de turbulence­s au niveau du pneu. Parce qu’en F, les roues des monoplaces sont à l’extérieur et c’est quelque chose qui vient perturber l’aérodynami­que générale. La F c’est ça, et on se bat tous autour de ça… Alors oui, nous, on trouve que c’est déraisonna­ble. Car pour maîtriser le sillage du pneu avant, il suffirait de mettre une carrosseri­e dessus, et là, il n’y aurait plus de problèmes !

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(Photo Cyril Dodergny / Détourage Rina Uzan)

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