« Marre des excuses... »
Pas à la fête, Renault, ces temps-ci. Mais Cyril Abiteboul, le boss, ne désarme pas, au contraire !
Avec Cyril, on se voit une fois l’an, quand il est de passage à Monaco pour le GP, le temps d’un café et quelques questions, à l’heure du déjeuner, dans le motor- home jaune et noir.
En ce printemps qui tire difficilement à sa fin, les résultats
– TRÈS – décevants ont dessiné à leur tour de gros nuages dans le ciel de Renault. Comme autant de louches de grimace, rajoutées dans une soupe qu’on nous prédisait savoureuse... La faute à une bielle mal pensée ou dessinée, laquelle a plombé jusqu’ici, le moteur pourtant – TRÈS – performant des F au losange. ‘‘Performant’’, ce n’est pas nous qui le disons, mais Alain Prost (qui sait de quoi il parle) et donc Cyril.
L’avarie ayant été diagnostiquée et désormais éradiquée côté mécanique, reste encore à soigner l’aéro pour revenir – ENFIN – tutoyer le Top (Mercedes/Ferrari/Red Bull), objectif affiché du clan français. Et là... Ça reste une autre paire de manches ! De tout cela et plus encore, Cyril Abiteboul a bien voulu nous parler : franc et ferme le boss... Certaines oreilles vont siffler !
Cyril, si l’on vous dit trivialement que Renault «estencoreàlarue» après les essais de jeudi, vous acquiescez ?
Non… Dites pas ça ! Jeudi, le matin, on était très bien. Après, quand on met les ‘‘medium’’ (pneus) l’aprèsmidi, on est aussi super. Ensuite, on passe les ‘‘soft’’ (tendres) et là on n’est plus bien du tout…
On a donc raison…
J’avoue qu’on a fait des erreurs de set-up (réglages) mais bon… J’en ai marre des excuses ou des explications ! Ce qu’il faut maintenant, c’est démontrer quand ça compte, le samedi en qualif ou en course, ce qu’on est capable de faire !
Quand vous dites « J’en ai marre des excuses », lesquelles et de qui ?
Vous me dites « mauvaise je vous réponds,
journée »,
« les réglages n’étaient pas bons »… Mes équipes me disent ça, élégamment… Mais ce samedi après-midi, il n’y aura plus d’excuses !
Après vos déboires dus à
la bielle, vous avez imposé une baisse du régime moteur. A Monaco, vous roulerez à fond ?
Oui, on aura une performance moteur, presque au niveau des meilleurs.
Ce problème de bielle, c’est la faute d’un ingénieur, on a identifié le coupable, on l’a viré ?
[rires] Non, parce que le coupable a eu la responsabilité de trouver la solution et il l’a fait ! En cinq semaines, on a validé la solution et fabriqué des pièces suffisantes pour fournir moteurs à Barcelone. Mais le coupable c’est quoi ? C’est la course au temps, la course aux moyens aussi, la course au rattrapage. Cet hiver, il y a eu un énorme engagement sur la performance moteur. On a décidé de tout miser là-dessus pour combler l’écart avec les meilleurs et ça a marché. Hélas, quand on s’occupe de ça, on ne fait pas tous nos processus habituels de validation de la fiabilité…
L’an passé vous nous disiez être à ou chevaux de retard sur Mercedes…
Et là je vous dis : on est à zéro ! En course on est au même niveau, en qualifs on aura encore quelques écarts mais des évolutions viendront les combler.
Le problème, ça reste donc l’aéro, le châssis ?
Ça reste le châssis, oui. Mais vous savez, il y a quatre ans quand on a repris Lotus, on était presque à chevaux d’écart ! Là, on est quasiment au niveau quatre ans plus tard.
Le châssis, c’est l’affaire d’un ingénieur ?
Non, c’est un ensemble. Mais il faut en revanche des leaders charismatiques qui comprennent ce qui se passe. Côté moteur, on a Rémi Taffin à ViryChâtillon. On a aussi besoin qu’à Enstone (Angleterre, département châssis), quelqu’un se dégage et cet homme, c’est Marcin Budkowski. Il est en place depuis quelques mois et c’est sa responsabilité d’impulser la performance.
On imagine que vous aviez vendu un autre début à Ricciardo ?
Pas tant que ça. J’avais vendu à Daniel un projet clair à moyen et long termes, même si on ne lui avait effectivement pas vendu un tel début de saison…
Il est déçu, non ?
On est en deçà de ses attentes et de nos attentes, oui. On lui a dit qu’il serait derrière Red Bull, qu’il ne ferait pas de podiums à la régulière cette saison. Mais qu’il nous aiderait dans la construction du châssis et c’est ce qu’il fait. La voiture a évolué selon ses désirs.
À millions d’euros par saison, il peut patienter…
C’est pas un bon chiffre ! C’est largement exagéré… Je le connais quand même bien, son chiffre [rires].
C’est quoi le bon, alors ?
Ah, ce serait trop facile…
Sans langue de bois, comment avez-vous vécu l’épisode Carlos Ghosn, au sein de l’écurie ?
Sur une question comme ça, vous comprenez que c’est difficile de répondre…
Vous êtes passé de à personnes à Enstone. Faut-il tant de monde et d’argent pour être performant en F ?
Je vous réponds qu’on est encore % derrière Mercedes…
La F n’est-elle pas une usine à gaz où l’on dépense sans compter pour qu’une voiture et un pilote passent la ligne en premier le dimanche ? N’est-ce pas irresponsable ?
Si vous me posez la question : est-ce que ça a du sens ? Non, ça n’a pas de sens. Mais, on veut tous quelque chose et son inverse. On veut une F qui ait du sens, qui soit technologique, avec les moteurs les plus avancés de la planète… C’est déraisonnable oui. Et on appelle en permanence les instances à simplifier, standardiser, augmenter la durée de vie des pièces, stabiliser les règlements !
Ça se chiffre quand même en centaines de millions par écurie…
‘‘ En F, tout ce qui nous préoccupe, c’est de maîtriser le sillage du pneu. On se bat tous à coups de centaines de millions sur ça ! ’’
Vous voulez un scoop ? Les centaines de millions d’euros, voire des milliards d’euros dépensés par l’ensemble des écuries, ils le sont pour contrôler le sillage du pneu !
Quoi, la trace ?
Non, non, le sillage aérodynamique du pneu. Quand on dit qu’on va développer l’aéro d’une voiture, c’est quoi ? C’est tout simplement sa capacité à générer le moins de turbulences au niveau du pneu. Parce qu’en F, les roues des monoplaces sont à l’extérieur et c’est quelque chose qui vient perturber l’aérodynamique générale. La F c’est ça, et on se bat tous autour de ça… Alors oui, nous, on trouve que c’est déraisonnable. Car pour maîtriser le sillage du pneu avant, il suffirait de mettre une carrosserie dessus, et là, il n’y aurait plus de problèmes !