A Nice, Chantal Ladesou présente son prochain film
Claudie Haigneré, la seule astronaute française à avoir effectué un vol spatial, estime que Thomas Pesquet a de grande chance de marcher sur la Lune
Quel souvenir avez-vous du premier pas de l’homme sur la Lune ?
Je suis née en avec le Spoutnik et j’avais donc ans ce juillet . J’étais en vacances avec mes parents, et tous les campeurs étaient rassemblés devant l’unique poste de télévision. C’est un moment que j’ai vécu avec émerveillement et presque incrédulité. De plus, il y avait une communion forte de l’ensemble des spectateurs car chacun ressentait que cela le concernait en tant qu’être humain. Cela a déclenché dans ma tête d’enfant l’idée que des choses inaccessibles peuvent, à un moment, devenir réalité. C’est ce qui m’a sûrement donné l’audace plus tard de candidater à la fonction d’astronaute.
Votre plus grand souvenir d’astronaute ?
Je pense d’abord à l’aventure humaine des neuf années passées en Russie, dans une période politique très changeante. La coopération francorusse était très forte. Concernant le vol, et c’est peut-être parce que je suis rhumatologue, j’ai été émerveillée de sentir mon corps en légèreté et j’ai songé aux capacités extraordinaires d’adaptation du corps humain, notamment sur le plan cognitif. Et puis il y a évidemment le regard par le hublot. On est dans un état de profondeur de l’âme et de légèreté du corps qui tendent à la contemplation, si ce n’est plus…
Vous auriez rêvé de la Lune ?
On me demanderait aujourd’hui de partir à l’entraînement pour une mission lunaire, je dirais oui ! À l’époque, ces astronautes étaient mes héros. J’ai ensuite vécu la période des stations spatiales, on a beaucoup parlé de la destination Mars que l’on prépare à moyen terme. Mais c’est la Lune qui est de nouveau au coeur des calendriers.
Plusieurs nations affichent aujourd’hui un nouvel objectif lune. Y a-t-il encore un intérêt scientifique à aller sur la Lune où est-ce un moyen d’afficher sa puissance ?
L’histoire d’Apollo s’est inscrite dans une démonstration de puissance et de première mondiale. Les Américains voulaient absolument y parvenir après toutes les premières soviétiques, comme le Spoutnik et Gagarine (). Nous étions dans une compétition sur fond de Guerre froide. L’objectif étant atteint, l’impulsion politique a cessé. Autant le projet Apollo était porté par le politique, autant celui de la station orbitale l’était par les scientifiques. Mais nous sommes toujours des explorateurs, et on se demande aujourd’hui quelles seront les prochaines destinations ? La Lune ou Mars ?
George W Bush a tenté de relancer un programme Lune en . Puis Barack Obama, soulignant que les USA étaient déjà allés sur la Lune, a évoqué une mission habitée martienne. Et récemment, Donald Trump a annoncé un retour d’équipage sur la Lune pour . J’ajoute que les chinois ont un programme absolument magnifique. Ils ont mis plusieurs sondes sur la Lune, dont une sur la face cachée Chang’E, ce qui est une première ! C’est un aiguillon compétitif qui relance une forme de « course à la Lune ». S’il y a vraiment une impulsion pour le projet américain, ça peut se faire dans la décennie à venir.
Les partenaires classiques : ESA (Agence spatiale européenne), Russie, Japon et Canada s’y préparent également.
L’évolution des technologies permettrait-elle de recueillir de nouvelles données ?
La Lune demeure un territoire scientifique passionnant. Les kilos de roches ramenés des précédentes missions n’ont pas été analysés entièrement car nous ne disposions pas de toutes les techniques à notre disposition aujourd’hui. Les missions sur la Lune ont permis de valider la théorie de l’impact géant entre la jeune Terre et la protoplanète Theia. Les géologues et les astrophysiciens ont encore beaucoup de sujets de recherche à explorer. Des scientifiques rêvent d’installer un radiotélescope sur la face cachée de la Lune, pour observer avec plus de précision le système solaire. En retournant sur la Lune, l’idée est d’y installer des bases scientifiques ; les entrepreneurs privés parlent de logistique, de tourisme et d’exploitation de ressources de Lune. On peut les envisager sous deux formats : exploiter et ramener sur Terre des ressources (terres rares, hélium ) et apprendre à utiliser in situ les ressources de la Lune (eau glacée de pôles, régolithe) de façon à faire de l’oxygène respirable, de l’eau, du carburant et avoir des matériaux de construction. Pour assurer l’autonomie des équipages, il faudra développer des supports vie, stocker l’énergie, recycler les déchets, gérer des ressources finies et limitées, installer une parfaite économie circulaire. Des solutions innovantes dans ce milieu hostile vont nous servir à résoudre certains de nos enjeux terrestres.
Vous semble-t-il plus pertinent aujourd’hui de conquérir Mars ?
C’est une destination scientifiquement exceptionnelle. C’est une planète un peu jumelle de la planète Terre mais qui a évolué complètement différemment. Potentiellement, on peut y trouver la raison pour laquelle la vie s’est développée sur notre planète et pas là-bas. Ou peut-être y trouvera-t-on des formes primitives de vie… Mais nous irons sur Mars d’ici à la fin du siècle. Les astronautes qui feront ce voyage vers Mars sont nés, mais n’ont pas encore le bac.
L’Europe n’apparaît pas en première ligne dans ces projets ? L’Europe se positionne dans un objectif de coopération. L’esprit n’est pas au leadership mais à la contribution au projet global sur des valeurs ajoutées. Le vaisseau Orion, développé pour rejoindre l’orbite lunaire où les Américains envisagent d’installer une plateformeportail vers l’espace lointain, est composé d’une capsule habitable et d’un module de service, essentiel à son fonctionnement, et sa navigation a été complètement réalisée par l’industrie européenne sous maîtrise d’ouvrage de l’ESA.
Nos astronautes européens voleront vers la Lune avec nos partenaires américains et ils commencent aussi à s’entraîner en Chine. Thomas Pesquet aura peutêtre la chance d’y participer. La nouvelle Génération Terre est aussi une Génération Lune, en Europe aussi.
Vous demeurez la seule femme française à être partie dans l’espace. C’est aussi le symbole d’une absence de parité ?
A la sélection de l’Agence spatiale européenne en , il n’y a pas eu plus de candidatures féminines qu’à mon époque en , c’est-à-dire %. Ce n’est pas un problème de discrimination à la sélection, c’est principalement un déficit de candidates. Aujourd’hui, nous sommes
astronautes dont femmes.