Monaco-Matin

70 Né le  août  lors d’une balade à Menton...

À partir d’aujourd’hui, Nice-Matin vous invite à revivre les plus belles pages de cet événement musical, qui fête son 70e anniversai­re. La première édition a été lancée en août 1950 par un certain André Böröcz

- Texte : André PEYRÈGNE Photos d’archives : Christian Merle

Ce

’était au coeur de l’été 1949. Le 12 août, exactement. En cette fin des années quarante, le monde se remettait peu à peu du cataclysme de la Deuxième Guerre mondiale. L’Europe était coupée en deux par le Rideau de fer. En France, la IVe République, présidée par Vincent Auriol, vivait au rythme des changement­s de ses gouverneme­nts. La télévision française venait de diffuser son premier Journal télévisé. Pour aller à Menton, il n’y avait pas d’autoroute – pas plus que sur le reste de la Côte d’Azur. Le maire de Menton était Pierre Parenthou-Dormoy.

À l’origine, une musique sortie d’une épicerie

En ce 12 août, donc, André Böröcz, ancien correspond­ant de la radio hongroise à Paris, qui avait refusé de renter dans son pays devenu communiste, se promène sur la Côte. Séduit par la ville de Menton et par la cascade des maisons colorées qui s’étagent à flanc de colline, attiré par ce phare magnifique qu’est le campanile de la basilique Saint-Michel, il s’aventure sur les rampes du Parvis.

Il est seul. La chaleur a découragé tout autre touriste de tenter l’ascension. Et voilà que soudain, dans ce magnifique espace architectu­ral qui est limité par les façades baroques de la basilique Saint-Michel et de la chapelle des Pénitents blancs, André Böröcz entend une sonate pour violon de Bach. La musique sort d’un poste de radio, dans une épicerie située sous les arcades du Parvis, dans l’angle de deux maisons. Cette épicerie n’existe plus aujourd’hui, le local ayant été récupéré par la municipali­té. L’épicier estil mélomane ou a-t-il tout simplement branché sa radio sans y prêter attention ? Toujours est-il que cette sonate de Bach, jouée par le légendaire violoniste Jasha Heifetz, emplit de ses harmonies magiques l’espace du Parvis. André Böröcz est saisi par la beauté de cette musique résonnant en ce lieu. Il reste immobile plusieurs minutes, pris par la magie de l’instant. Puis une idée lui vient : «Si on organisait un vrai concert en ce lieu ? Si je créais ici un festival de musique ? »

Créer un festival ici, la révélation d’André Böröcz

L’idée était folle. On n’organisait pas de grands concerts de musique classique en plein air à l’époque, en dehors des kiosques à musique des grandes villes et des stations thermales ! Mais l’idée était venue à André Böröcz comme une sorte de révélation. Il fallait créer un festival ici ! Enthousias­mé par son projet, André Böröcz redescendi­t les rampes du Parvis et n’eut qu’une idée en tête : obtenir un rendez-vous avec le maire. Tandis que, huit jours plus tard, le 20 août 1949, le régime communiste était officielle­ment installé en Hongrie et que, cette fois, André Böröcz ne pourrait définitive­ment plus rentrer dans son pays, il obtient son rendez-vous à la mairie. On ne sait les mots qu’il employa ni les arguments qu’il déploya mais le maire ParenthouD­ormoy fut séduit. Il n’hésita pas à mettre à dispositio­n d’André Böröcz un budget, le Parvis Saint-Michel et les services techniques de la ville. C’était considérab­le ! L’émigré hongrois avait réussi son coup.

On parla du festival dans la France entière

Dès l’été suivant, le premier festival eut lieu. Il s’ouvrit le 5 août 1950 avec l’un des quatuors à cordes les plus célèbres de l’époque, le Quatuor Vegh. On entendit des quatuors de Haydn, de Mozart et de Beethoven. Dès le lendemain, le 6 août, André Böröcz-le-Hongrois tente quelque chose d’une audace folle : l’accueil du premier orchestre allemand en France après la guerre. C’était l’orchestre de Stuttgart sous la direction de Kurt Redel – orchestre qui, par la suite, sera l’un des habitués du festival. Il joua du Couperin – compositeu­r français, c’était important ! –, du Bach, du Mozart.

On parla dans la France entière de ce festival et du courage de son créateur. Aussitôt se constitua un conseil d’administra­tion qui rendrait jalouses toutes les associatio­ns culturelle­s du monde. Quatre des plus grands compositeu­rs de l’époque y figuraient : Olivier Messiaen, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc.

Pour payer le pianiste, Böröcz ira jouer au casino

Il ne faut pourtant pas croire qu’après les deux premières années, les choses allèrent comme sur des roulettes. Une fois de plus, la politique internatio­nale allait s’en mêler. En 1950 se déclenche la guerre de Corée. Elle durera pendant trois ans. Le monde est inquiet. Les touristes restent chez eux. Le festival de Menton ne retrouve pas son public. Lors du festival 1952, André Böröcz est à court d’argent. Arrivé à sa dernière soirée, le 13 août, il ne sait pas s’il pourra payer son pianiste à la fin du concert – lequel pianiste n’est autre que le célèbre Arturo Benedetti Michelange­li. Il a une idée. À l’entracte, il demande à son associé Thomas Erdos de lui remettre la maigre recette du jour et décide… d’aller la jouer au casino. Ce soir-là la chance est avec lui. Il gagne… et revient à la fin du concert avec le cachet du pianiste entre ses mains. Telle était la chance d’André Böröcz. Elle l’accompagna pendant un demi-siècle.

 ??  ?? L’orchestre de Stuttgart, le premier du Festival. C’était le  août  : Menton accueillai­t le premier orchestre allemand après la guerre !
L’orchestre de Stuttgart, le premier du Festival. C’était le  août  : Menton accueillai­t le premier orchestre allemand après la guerre !
 ??  ?? Le Quatuor Vegh, la première formation de ce concert à monter sur scène.
Le Quatuor Vegh, la première formation de ce concert à monter sur scène.
 ??  ?? André Böröcz, créateur du festival (à gauche) avec Cocteau et le grand pianiste Willhelm Kempff (au centre).
André Böröcz, créateur du festival (à gauche) avec Cocteau et le grand pianiste Willhelm Kempff (au centre).
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La première affiche.

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