Christophe Bacquié : et les derniers seront les premiers
1. Ex-commis, il a pris la pole position. Mais le chef de l’Hôtel du Castellet, en bordure de circuit, n’est pas un as de l’accélération. Plutôt un coureur de fond, champion de la transmission
‘‘ Le service n’est pas une servitude”
‘‘ Un combat contre soi-même”
Quatre chefs au sommet
Quatre portraits à la suite. Pourquoi eux ? Peut-être pour rappeler que la Provence n’est pas synonyme d’une « gastronomie de claquettes et de plages », comme le dit l’un d’entre eux. Voici, au fil du classement du Michelin, le parcours et la philosophie de nos chefs trois-étoiles. Une élite qui se compte sur les doigts d’une seule main puisqu’ils sont deux dans le Var, un à Monaco, le dernier à Menton : Mauro Colagreco, à la tête du fameux Best, le palmarès mondial du magazine britannique Restaurant.
L’arrivée de sa troisième étoile, en 2018, a couronné une trajectoire exemplaire. Celui d’un ancien commis vengé d’un palmarès scolaire assez peu prometteur. Par la seule force de son talent et de sa rigueur, Christophe Bacquié s’est hissé au rang des meilleurs.
« J’ai doublé ma sixième, doublé ma cinquième. On m’a mis de côté en me disant que je ne ferais jamais rien de ma vie. J’ai fini par décrocher un BEP hôtelier à l’Île Rousse, en Corse, après quoi, j’ai beaucoup, beaucoup travaillé. En faisant des rencontres essentielles avec des chefs passionnés qui m’ont donné l’envie d’avancer. » S’il garde de ses débuts erratiques le regret de ne pas maîtriser l’anglais comme il le voudrait, le chef s’est, sur tous les autres plans, largement rattrapé. Aujourd’hui crédité d’un 19/20 par le GaultMillau, l’ex-redoublant figure désormais parmi les premiers de la classe.
Un clergé aux fourneaux
« Je n’aime pas parler de moi », s’excuse-t-il en s’éclipsant systématiquement derrière son équipe. L’Hôtel du Castellet, un Relais & Châteaux ouvert dans les années
2000 par le pape de la F1 Bernie Ecclestone, c’est tout un clergé aux fourneaux. Ils sont douze, dédiés au restaurant gastronomique. Auxquels s’ajoutent dix pâtissiers pour l’ensemble du domaine et encore huit cuistots au bistrot. Il n’est pas rare qu’interviennent sur une même assiette trois, quatre, voire cinq officiants, tous au service de la célébration du produit.
« La technique doit s’effacer pour laisser place à l’émotion », professe Christophe Bacquié qui rêve à chaque dégustation d’une « expérience de gastronomie pure ». Et parce qu’il se fait une haute idée de ce qui pourrait n’être qu’un banal beignet de fleur de courgette, l’énumération des étapes de son élaboration revient à compiler douze recettes en une seule.
Rien de démonstratif sur la piste, mais dans le stand une prouesse au scalpel. Pour que percutent les goûts sur la ligne d’arrivée. Émulsion, couleur, croquant, saveur, bonheur. Ce qui, accessoirement, permet de démontrer que la Provence n’est pas synonyme d’une « gastronomie de claquettes et de plage ».
Sportif de haut niveau
L’exercice pourrait – presque – passer pour facile s’il ne se répétait midi et soir, à longueur de semaine, avec le même degré de précision. Fastidieux ?
Pas pour lui, qui se voit en sélectionneur d’une « team Bacquié » surentraînée. « C’est un métier de haut niveau. Au lieu d’avoir une Coupe du monde tous les quatre ans, chez nous, c’est deux fois par jour. »
Le titre étant remis en jeu à chaque service, impensable de décevoir le public. Le client du vendredi et celui du samedi exigent que l’écurie donne le meilleur d’ellemême à toute heure. Vite, décompresser. Pour retrouver du moteur, le chef enfourche la petite reine. Deux à trois fois par semaine, du vélo pour se vider la tête. « J’en ai besoin. Physiquement. » Dans un autre type d’effort, une forme d’apaisement. Les contraintes ? « Ce n’en sont pas vraiment, si l’on a envie de les vivre correctement. D’ailleurs, elles sont beaucoup moins lourdes qu’à l’époque où j’ai commencé », soutient Bacquié. Qui le rappelle : «Le service est un art. Pas une servitude. »
Les vertus de l’engagement
C’est une activité qui «élève» . Où, partant de « pas grand-chose », on peut aller loin.
« Bien sûr que c’est important, le cursus. Si l’on a les capacités et l’envie, il faut tout mettre en oeuvre pour réussir un diplôme. Mais je persiste à dire que ce métier s’apprend sur le tas. Plus on commence jeune, plus on le comprend. Plus on s’y engage, plus vite on progresse. »
Si « le travail paie », Bacquié suggère de ne pas brûler les étapes. « Sur une voiture, on ne passe pas directement de la première à la cinquième… » Il le sait : le risque d’être rétrogradé est constant. Donc, ne pas trop laisser voir sa fierté. Même si la veste à son nom, brodée de trois étoiles et souligné du col bleu-blanc-rouge des Meilleurs ouvriers de France, ce n’est pas tout à fait innocent.
Arborer ces symboles de reconnaissance étant à la fois une récompense et une chance. En 2007, la deuxième étoile. Bacquié était en Corse, où nul chef avant lui n’avait franchi ce palier. « Une étoile, c’est superbe, il y en a 500 en France. Deux, on n’est plus que 80. On commence à être vraiment reconnu pour une identité, peut-être une sensibilité, même si je n’aime pas trop ce mot. » Puis l’apothéose, ou la victoire d’un collectif ? «Sile titre de MOF est un combat contre soi-même, les trois étoiles, c’est toute l’équipe. » Toujours ce regard porté sur les autres. Dont le nombre et la compétence justifient le grand prix. Avec cependant un menu en trois services qui s’affiche à 135 euros, chose rare lorsqu’on vise aussi haut. « Je ne vais pas vous dire que c’est accessible à tout le monde, ce serait une grosse bêtise. Mais c’est une expérience pour laquelle, peut-être, on peut casser sa tirelire. »