70 Les prouesses de la virtuose bouton d’or
Apparue dans une robe de cette couleur, la pianiste chinoise Yuja Wang a enflammé le parvis Saint-Michel, dimanche soir, en duo avec le clarinettiste Andreas Ottensamer
Le
e plus difficile, pour Yuja Wang lors du concert de dimanche soir sur le parvis Saint-Michel, fut d’arriver sur scène. Car cette star du piano chinois, connue pour ses tenues vestimentaires extraordinaires, était vêtue d’une robe fourreau de couleur bouton d’or si sanglée qu’on se demande comment elle pouvait respirer et marcher. Allez descendre, dans ces conditions, les étroits escaliers de pierre qui mènent à la scène ! Cela tenait du funambule, de l’équilibriste. Il fallut que son partenaire, le clarinettiste Andreas Ottensamer, la tienne par la main pour lui permettre de se déplacer et l’empêcher de chuter. Une fois assise au piano, plus aucun problème pour Yuja Wang ! Jouer de son instrument ne lui pose aucune difficulté, même dans les traits les plus extravagants, les arpèges les plus délirants. Le tout était d’arriver au piano !
Ébouriffantes sonorités
Ce soir-là, elle n’avait pas le rôle de soliste, mais celui d’accompagnatrice du clarinettiste. Il n’empêche, on a pu admirer la transcendance de sa technique pianistique. On aimerait la réentendre en récital soliste.
Le clarinettiste, parlons-en. Andreas Ottensamer est le soliste du Philharmonique de Berlin. Son jeu est éblouissant, superbement musical.
Lorsqu’il joue un « Intermezzo » de Brahms, ses sonorités ont la douceur du velours. Lorsqu’il joue la « Rhapsodie » de Debussy, il fait entendre des sons transparents comme une eau claire. Lorsqu’il s’attaque à la sonatine d’un certain Horovitz, il sait imiter la gouaille d’un joueur de jazz.
Portés par le public, les deux musiciens enchaînèrent les bis. On eut droit à un « Summertime » de Gershwin bienvenu en cette nuit d’été. On eut droit aussi au tourbillon charmant d’une valse de Chopin.
Puis, soudain, le clarinettiste abandonna sa clarinette et, partageant la banquette de piano avec sa partenaire, il se mit à improviser à quatre mains avec elle sur un air de tango. Joie du public !
Ce ne fut pas tout. Ce qu’on attendait arriva enfin : une démonstration de Yuja Wang en solo. S’arcboutant devant son clavier, elle se lança dans une série d’ébouriffantes variations sur le thème de la « Trish Trash Polka » de Johann Strauss. (Oui, l’auteur du « Beau Danube bleu »). Ce ne fut pas un morceau de piano : ce fut un feu d’artifice. Le public exulta. Puis Yuja Wang fut confrontée à l’ultime épreuve de la soirée : la remontée des marches ! L’ascension se fit précautionneusement, pas à pas, la jeune pianiste faisant ondoyer à l’envi son corps de naïade. Et l’on vit s’éloigner marche après marche dans la nuit, hors des projecteurs, cette flamme couleur bouton d’or.