Clients fantômes : les restos face au fléau du « no-show »
Un tweet a mis le feu aux poudres. Celui d’un restaurateur niçois dont vingt clients, le même soir, n’ont pas honoré leur réservation. Excédé par ce phénomène du « no-show », le métier réagit
Pierre-Jean a ouvert avec deux associés un restaurant où l’on pratique une cuisine originale et soignée. Ce qui justifie un ticket moyen assez élevé : autour de 60 euros par personne. Le concept de ces Agitateurs ne s’accommoderait pas d’une surface beaucoup plus étendue. Ici, rue Bonaparte, à Nice, on sert quarante couverts en moyenne.
Autant dire qu’une réservation non tenue a une incidence directe sur la caisse. Les produits sont achetés, le personnel est payé, or des tables restent vides alors que des clients au comportement moins léger auraient été ravis de les occuper. Après une année d’existence, Pierre-Jean constate que cette tendance prend ses aises. Le phénomène porte un nom : le « noshow ». Appellation branchée pour désigner une attitude qui l’est nettement moins, mélange de désinvolture crasse et de mépris total pour le travail d’artisans dévoués.
Cette « non-présentation » après réservation, dont on a décrit les conséquences préjudiciables quand il s’agit de l’équilibre financier
de structures de petite taille, commence vraiment à peser. Le 13 juillet dernier, Pierre-Jean a soulagé son agacement en poussant un coup de gueule sous la forme d’un tweet incendiaire. Sinon rageur, un message d’humeur. « Ce soir-là, vingt clients qui avaient retenu ne sont pas venus », s’offusque le restaurateur dont le message a rencontré un certain écho auprès de confrères tout aussi exposés. « Nous avons eu pas mal de retours », constate PierreJean qui déplore cette versatilité dans laquelle il voit surtout « un manque de respect ». Encore veut-il bien pardonner : « Ce soir-là, c’était le feu d’artifice, des gens peuvent avoir hésité à sortir, d’autres ont peut-être eu du mal à se garer. Mais personne n’a pensé à nous appeler pour s’excuser. Si bien que nous n’avons pas osé relouer les tables. »
« Surbooking »
« Le cas se produit de plus en plus souvent », assure Sébastien, qui tient depuis près de cinq ans le restaurant Fine Gueule. Un bistrot situé à l’entrée du Vieux-Nice, tout près de l’hôtel de ville. Le gérant évoque un « tabou », celui des arrhes qu’il faudrait réclamer, une habitude dans laquelle personne n’ose se lancer. «Un établissement étoilé peut se le permettre. Pas nous. Visà-vis de notre clientèle, ce serait compliqué. » Une seule parade jusqu’à présent : «Je pratique un peu de surbooking. » Sachant que deux ou trois tables seront victimes de « no-show », il les met à disposition, même réservées, quitte à faire attendre un peu les clients à venir. Thomas, chez Olive & Artichaut, dans le Vieux-Nice, a, lui aussi, répondu au tweet de Pierre-Jean. Il se désole de cette « absence de civisme » qui pénalise lourdement l’activité : « Quatre tables de deux qui restent vacantes alors que nous avions des réservations, c’est courant. »
Lui aussi, en six ans, a vu ce mouvement s’accélérer. Des services de réservation en ligne devraient instaurer le principe d’un acompte, estime Thomas. « Ou prendre une empreinte bancaire, exactement comme le font les sites hôteliers. Ce principe est très répandu aux États-Unis, où cela ne choque personne. Pourquoi ne pas le faire chez nous ? » Pour le président du Syndicat des restaurateurs de Nice, Hubert Boivin, une seule solution : demander un – petit – acompte. « Par exemple, cinq euros par personne. C’est ce que je pratiquais à une époque, sans que cela ne pose la moindre difficulté aux clients. » Hubert Boivin connaît la légèreté de ceux qui, au dernier moment, changent d’avis, préfèrent une autre table ou rejoignent, ailleurs, des amis. « Il y a mille raisons pour lesquelles des gens ne se présentent pas dans le restaurant où ils avaient prévu de dîner. Ce problème avait un peu disparu, mais le consommateur a toute liberté, et la mentalité n’est pas toujours à la plus grande correction. »
Impossible de réclamer une carte d’identité à la réservation, alors qu’il est légal de le faire au moment du paiement. Même si aucun restaurateur ne s’y risque, de peur de froisser lorsque vient l’addition.
Donc, il insiste : « Tant qu’aucune loi ne permettra d’exiger un acompte, on peut essayer de faire comprendre aux clients que cinq euros par couvert, c’est peu de chose, d’autant que ce montant viendra bien entendu en déductiondelanote.»