Claude Vignon, une femme anticonformiste St-Jean-Cap-Ferrat
On doit à cette artiste (1828-1888), la statue Le pêcheur à l’épervier ,qui trône aujourd’hui sur la place Clemenceau, ancienne place du Centenaire. Mais qui était-elle ? Votre agenda
Sur la place Georges-Clemenceau se tient, en bonne place, depuis plus d’un siècle une statue baptisée Le pêcheur à l’épervier, représentant un pêcheur accroupi devant ses filets, due à une artiste de talent : Marie Noémi Cadiot, qui a pris en 1865 le pseudonyme de Claude Vignon, en référence au héros du roman Béatrix, d’Honoré de Balzac. Mais qui était donc cette femme, aujourd’hui bien oubliée ?
Indépendante, en avance sur son temps
Fille du sous-préfet d’Autun, journaliste sous la Restauration et de Zoé de Montbarbon, Marie-Noémi Cadiot tombe amoureuse, à 18 ans, d’Alphonse Constant, personnage singulier écrivain, cabaliste, artiste-peintre, journaliste, occultiste et Rosicrucien, qui dirige une revue, Le Tribun du peuple.
Elle quitte la maison familiale pour le rejoindre, mais ses parents, furieux, l’obligent à l’épouser civilement, sous peine d’accuser son ami de détournement de mineur. Ils la préviennent, en outre, qu’ils lui refuseront toute dot. Le couple se marie en 1846 et a une fille l’année suivante qui mourra à l’âge de 7 ans.
Alphonse Constant publie ensuite Dogme rituel de la haute magie, sous le pseudonyme hébreu d’Eliphas Lévi. Claude Vignon écrit à ÈZE cette époque dans la revue de son époux, ainsi que dans le Tintamarre et Le Moniteur du soir, des feuilletons littéraires et suit des cours de sculpture dans l’atelier du grand James Pradier. Elle crée plusieurs oeuvres comme L’enfance de Bacchus en 1852 et participe aux travaux sur le bas-relief de la fontaine Saint-Michel à Paris. Très indépendante, elle fréquente le Club des femmes présidé par Eugénie Niboyet, figure du féminisme de l’époque, qui lutte notamment contre la subordination des femmes à leur mari. Parallèlement, elle commence à écrire et publie des romans qui obtiennent un certain succès comme Jeanne de Manguez ou Un drame en province. Il s’avère, au bout de quelque temps, qu’aux multiples occupations d’Alphonse Constant, s’ajoute celle de diacre, activité qui lui interdit le mariage, qui est donc rapidement annulé. Le couple reste ensemble jusqu’en 1865, date à laquelle Claude Vignon quitte Alphonse pour aller vivre maritalement avec AntoineEdgar du Vidal, marquis de Montferrier.
Une villa quartier de la Baie-des-Fosses
Au début des années 1870, Claude Vignon rencontre le député des Bouches-du-Rhône, Maurice Rouvier, avec lequel elle se marie en 1872. Elle continue néanmoins son activité de romancière et de sculptrice et crée, en 1878, le bronze Le pêcheur à l’épervier.
C’est sans doute grâce à Maurice Rouvier, alors député des AlpesMaritimes, qu’elle découvre en 1885, le quartier de la Baie-desFosses, où elle achète un terrain dominant la plage des Fossettes et y fait construire une villa l’année suivante. Le quotidien le Petit Niçois en fait une description détaillée : « La maison est une modeste mais coquette propriété de campagne située dans un merveilleux paysage. L’architecture est des plus simple. Nul ornement. Cette maison est couverte de tuiles rouges et ornée de volets verts mais tout autour, on y voit des bosquets de roses et des allées d’orangers. Dernier détail : le long du rocher à pic, on a taillé un escalier à rampe de sapin qui descend jusqu’à la mer ».
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L’artiste continue ses oeuvres littéraires et ses sculptures dans sa nouvelle villa, mais elle n’en profite malheureusement que peu de temps puisqu’elle y meurt deux ans plus tard, le 10 avril 1888. La nouvelle de son décès frappe la population saint-jeannoise qui, en signe de deuil, orne ses fenêtres de drapeaux voilés. Dans le port, l’émotion est toute aussi forte et les pêcheurs mettent le pavillon de leurs barques en berne. C’est un cortège impressionnant d’habitants et de notabilités qui suit le convoi funèbre jusqu’à la gare de Nice, où le corps rejoint Paris puis le cimetière du Père-Lachaise.
Maurice Rouvier fait don de la statue à Saint-Jean
Vers 1890, Maurice Rouvier fait don du Pêcheur à l’épervier à SaintJean. Le bronze est d’abord placé près du port, puis est déplacé en 1907 sur la place du Centenaire, actuelle place Clemenceau, et l’on ajoute alors sur le socle la mention : « Offert à la commune de Saint-Jean par M. Maurice Rouvier, sénateur, président du Conseil général des Alpes-Maritimes ». Une inscription plus tardive mentionne sur une autre face « Offert par M. Louis Vignon », personnage inconnu et, semble-t-il, hypothétique puisque le fils de Claude se prénommait François et qu’il ne portait bien entendu pas le nom de Vignon, qui reste un pseudonyme…
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la statue manque de disparaître lorsque l’ennemi a pour mission de récupérer tous les métaux ferreux et non ferreux, afin de les fondre pour fabriquer des armes. Heureusement, quelques SaintJeannois la démontent pendant la nuit avant sa saisie et la cachent en lieu sûr jusqu’à la Libération. En plus de la sculpture, l’avenue Claude-Vignon, qui passe devant son ancienne résidence, perpétue aujourd’hui le souvenir de cette femme anticonformiste aux talents multiples, bien en avance sur son temps. (1) Cette demeure est aujourd’hui dénommée villa d’Yze au 36 de l’avenue Claude-Vignon.