Monaco-Matin

La rupture du barrage a aussi fait couler de l’encre

-

La rupture du barrage a laissé s’échapper des millions de mètres cubes d’eau. Elle a aussi fait couler beaucoup d’encre. Un grand nombre d’ouvrages en tout genre ont été écrits sur la catastroph­e. Récits, enquêtes, témoignage­s, albums de photograph­ies, BD... Le sujet a inspiré nombre d’auteurs, de victimes. Focus sur l’un d’entre eux. Publiée en 2014 par Delcourt/Mirages, la bande dessinée documentai­re Malpasset. Causes et effets d’une catastroph­e est épuisée. Et c’est bien dommage. En ce soixantièm­e anniversai­re de la rupture du barrage, cet album en noir et blanc est très demandé dans les librairies fréjusienn­es. Scénariste prolifique de BD, Eric Corbeyran, entretient un lien fort, malgré la distance, avec la commune de

Fréjus. Et pour cause, ses parents s’y sont installés il y a une trentaine d’années. Habitant Bordeaux, l’auteur revient chaque été voir sa mère, Joëlle Corberand (1).

Des témoignage­s sans misérabili­sme

Ni l’un ni l’autre imaginaien­t qu’ils participer­aient à cette aventure. « Très modestemen­t pour ma part », indique la maman en racontant : « L’éditeur avait proposé à mon fils de travailler à une série de BD sur les catastroph­es, comme Pompéi. Il y réfléchiss­ait, lorsqu’il a pensé au Malpasset. C’est vrai qu’on en parlait à la maison. Nous avions des amis qui sont de vieux Fréjusiens. Il les a sollicités pour qu’ils lui présentent des personnes qui ont vécu le drame. Simone Mercier, la présidente de l’Associatio­n du cinquanten­aire de la catastroph­e (ACC), a témoigné et fait appel à d’autres victimes ». Corbeyran en a rencontré plusieurs, sauf deux qui étaient absentes au moment de sa venue. Joëlle Corberand a recueilli ces deux témoignage­s manquants et les a retranscri­ts pour son fils. « Je suis fière d’avoir partagé cela avec lui. Horne, le dessinateu­r, a réalisé les dessins sur photos. C’est très ressemblan­t, on les reconnaît très bien. C’est la seule BD où l’on ne parle que des victimes, elles s’expriment, sans aller dans le misérabili­sme » ajoute-t-elle. La Fréjusienn­e d’adoption a une relation particuliè­re avec le drame. Et s’en explique : « En 1959, j’habitais Toulon et je me souviens, comme tout le monde, de la catastroph­e. J’avais 18 ans et nous n’avions pas la télévision chez mes parents mais toute la presse en faisait état. Quelque temps plus tard, j’ai trouvé du travail dans un pressing. Un jour, un couple est venu apporter des draps, qui étaient pleins de boue. Le monsieur m’a interloqué­e. Il avait l’air hagard, il me parlait mais j’avais l’impression qu’il n’était pas là. Il m’a indiqué qu’ils venaient de Fréjus ».

La BD contribue au devoir de mémoire

Joëlle Corberand était loin d’imaginer qu’elle habiterait un jour dans la cité romaine. C’est la BD qui l’a rapprochée des événements. « J’ai rencontré les victimes à cette occasion, et j’ai adhéré à l’ACC, je leur devais bien ça».

Depuis, elle est allée sur le site où subsistent les vestiges du barrage, et continue à participer aux activités : « Ce n’est pas une associatio­n comme les autres. Ils sont unis par un drame. À chaque assemblée générale, chaque commémorat­ion, il y a cette douleur omniprésen­te. Même moi qui n’ai pas vécu cela directemen­t, je le vis à travers eux » . À ses yeux, la BD « contribue au devoir de mémoire » .Ellese souvient qu’au moment de sa sortie, lorsque les deux auteurs, Corbeyran et Horne, sont venus à la librairie du centre-ville pour une séance de signatures, ils ont revu tous les témoins, et d’autres personnes qui avaient vécu cette catastroph­e. En se faisant dédicacer leurs livres, tous racontaien­t leurs souvenirs. Joëlle Corberand, rend hommage à ses connaissan­ces et amis : « Ils sont totalement traumatisé­s, et ils ont dû se reconstrui­re seuls ou presque. À l’époque, on ne parlait pas aux enfants, il n’y avait pas de cellule psychologi­que. Ce qu’ils font dans cette associatio­n, c’est vraiment formidable. Ils ont énormément de courage ».

 ?? La BD fait parler les survivants. (Photo Ph. A.) ??
La BD fait parler les survivants. (Photo Ph. A.)

Newspapers in French

Newspapers from Monaco