Sylvain Tesson : « Je n’ai aucune raison d’être optimiste »
Récompensé pour son ouvrage La Panthère des neiges, le prix Renaudot est aussi à l’aise sous les ors de l’opéra de Toulon que dans les massifs montagneux du Tibet. Rencontre avec un équilibriste
Vous terminez votre livre par ces mots : « Adieu panthères ! » Vous êtes à ce point pessimiste sur l’avenir de la planète ?
Pourquoi ? Pas vous ? Vous ne lisez pas la presse ? (rires) Objectivement, il n’y a pas vraiment de raison d’être optimiste. Ce qu’on vit – la grande pollution et la grande dégradation générale de la biodiversité – n’est pas un état de fait, c’est une trajectoire.
Et cette trajectoire ne peut pas s’inverser ?
Que l’homme décide de se réformer de lui-même, ça n’est jamais arrivé dans l’histoire de l’humanité. Jamais. C’est une très mauvaise connaissance de l’homme que de croire que, tout à coup, pris soudainement de l’envie que tout aille mieux, l’homme décide de changer son mode de vie pour en adopter un plus sobre. C’est absolument impossible.
Comment ça va finir, alors ?
Je n’en sais rien. Je ne suis ni un devin, ni un prophète. Je constate simplement que l’histoire a montré que des réformes humaines, sociales ou sociologiques et politiques sont possibles, mais après le drame. Ça s’appelle de la reconstruction. C’est très banal ce que je dis, mais c’est comme ça que l’histoire s’est faite. L’histoire est une suite de catastrophes et de renaissances. On ne luttera jamais contre les « Black Fridays ». Jamais. C’est une merveilleuse idée de le penser, mais c’est d’une naïveté charmante. Comment voulez-vous lutter ? Qui va lutter contre les énormes forces humaines de l’envie d’accumuler, de posséder, de jouir, de se répandre ?
Décidément, vous ne pardonnez rien à vos congénères…
À moi-même non plus. Le grand désastre serait de prétendre que soi-même on échappe à ce portrait un peu obscur. Ce serait terrible. C’est le pire péché : la vanité, l’orgueil. Je me mets dans le même sac. Ça ne veut pas dire qu’il n’existe pas des exceptions fantastiques. Heureusement, il y a parfois des flambeaux dans la nuit.
Greta Thunberg par exemple ?
Par exemple. Je trouve ça très bien que, tout d’un coup, une petite voix s’élève. Pourquoi pas ? Au point où on en est, toute voix est bienvenue.
Mais vous n’y croyez pas trop…
Ce n’est pas tellement la question. Moi, je prêche pour ma paroisse : le travail, la culture, l’étude, l’accumulation du savoir, la réflexion. C’est pour cette raison que ça m’intéressera toujours plus d’entendre un savant qui a beaucoup travaillé, plutôt qu’une enfant qui ne vibre qu’au son de sa perception immédiate et de son sentiment. Ça ne m’empêche pas de la trouver formidable et probablement nécessaire.
Dans votre récit, vous parlez beaucoup de Dieu, du Tao ()…
Quelle est votre paroisse ?
Le Tao m’intéresse effectivement, même si ma paroisse culturelle est le catholicisme et le christianisme. Je suis un Européen et je suis démocrate en plus. Or, la démocratie est fondée sur des idées chrétiennes qui ont été laïcisées. Je suis du côté du christianisme par ma naissance, mais intérieurement pas du tout. Je n’ai pas la foi, et le dogme chrétien n’est pas celui vers lequel je vais affectivement.
Je vais plutôt vers le panthéisme.
Mais vous utilisez quand même beaucoup de références chrétiennes : apparition, vision sacrée…
Il faut distinguer les choses : on peut user de la symbolique de l’apparition et
‘‘ de la vision sacrée autrement que dans la sphère chrétienne.
Moi, je suis plutôt attiré affectivement et intellectuellement par les propositions panthéistes. C’est-à-dire la présence de Dieu dans la manifestation du vivant, et non pas extérieure à son objet de création. Ça m’est beaucoup plus difficile à comprendre.
Vous êtes plutôt dur avec Dieu, que vous voudriez traîner devant la justice…
C’est une formule, mais ça ne veut pas dire que je suis dur avec Dieu. J’ai écrit cette phrase parce que ça m’intéresse de considérer que dans l’incroyable miracle du vivant – la chimie qui, tout à coup, devient de la biologie relève du miracle – il y a la douleur. Pour moi, c’est incompréhensible. « Pourquoi avoir créé la douleur ? » est la première question que je poserais à Dieu si je le rencontrais.
Cette forme de perversité dans la création divine vous interroge ?
C’est la question fondamentale : la vie avait-elle besoin de ça ? Fallaitil qu’il y ait un système nerveux ? C’est quand même incroyable : la vie n’est que souffrance !
Cette souffrance, vous la ressentiez avant l’accident ? ()
J’ai fait la vraie expérience de la souffrance pendant mon accident. Avant, on est toujours un peu idiot : tant qu’il ne vous est pas arrivé un malheur, on a l’impression qu’il n’y a pas de malheur dans le monde. C’est l’absurdité de l’homme que de vouloir éprouver les choses pour se rendre compte qu’elles existent. Mais cette expérience de la douleur est relative dans la mesure où j’ai pu bénéficier du système de santé français. Un système performant du XXIe siècle.
XXIe siècle, curieuse référence pour celui qui n’arrête pas de critiquer la modernité…
S’il s’agit de dire que je suis contradictoire, je l’assume parfaitement. Qui ne l’est pas ? Mais distinguons bien les choses : ce n’est pas l’innovation technique qui peut améliorer le sort de l’homme que je critique, c’est le système d’asservissement de l’être qui devient le serviteur de la machine. Je ne fais évidemment pas la critique de l’innovation, sinon je ferais l’apologie de l’hominidé avant l’Homo erectus et l’Homo faber.
L’histoire est une suite de catastrophes et de renaissances”
‘‘ Je suis dans la vénération de la nature”
Les animaux sont omniprésents dans votre récit. Que pensez-vous de ces gens qui défendent la cause animale ? J’en pense la même chose que ce que je pense du mouvement #metoo ou des zadistes de NotreDame-des-Landes : ce sont des options qui sont radicales toujours, contre-productives parfois, et qui annulent leurs propres bénéfices. Mais je pense qu’il y a dans la radicalité de ces actions un intérêt : celui d’injecter le débat dans la société médiane. Il est évident que le mode opératoire est désastreux, mais l’intention est bonne. L’intention du bien-être animal ou de la protection des espaces naturels est bonne.
Vous vous sentez écolo ?
Si vous me demandez si je me sens électeur d’un parti qui fait un choix de vie et qui fait de son choix de vie une proposition sociétale et idéologique, la réponse est non ! En revanche, si vous me demandez si je suis dans la vénération de la nature, dans la tentative de ne pas trop l’abîmer, je vous réponds oui, évidemment.
L’un de vos précédents ouvrages s’appelait Un été avec Homère. Vous repartiriez sur une telle aventure ?
Oui, ça me plairait bien. Ça a été une rencontre magnifique. Je ne vais pas jouer au cuistre qui dit : « Je me suis replongé dans l’oeuvre d’Homère que je connaissais très bien ». Non, j’en avais un souvenir scolaire laborieux d’enfant de e qui s’était ennuyé avec L’Iliade .Et là, ça a été merveilleux pour moi.
Et ce nouvel été, avec qui le passeriez-vous ?
J’aimerais bien le faire avec le philosophe de l’été, le philosophe du soleil, le philosophe de la lumière : Nietzsche. Un été avec Nietzsche… (rêveur)
1. L’un des piliers de la philosophie chinoise. 2. En 2014, Sylvain Tesson s’est grièvement blessé lors d’une chute de 10 mètres en escaladant un chalet à Chamonix.