Monaco-Matin

Le tissu adipeux, lieu de stockage de polluants cancérogèn­es

Les perturbate­urs endocrinie­ns sont mis en cause dans le cancer de la prostate. Stockés au niveau des graisses, ils pourraient agir en étant progressiv­ement libérés

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Quiconque oserait aujourd’hui mettre en doute l’existence de liens entre perturbate­urs endocrinie­ns (PE) – ces substances chimiques qui interagiss­ent avec nos hormones – et cancers, serait contredit par des faits indiscutab­les. Les plus marquants concernent le cancer de la prostate. Une maladie dont on s’est aperçu il y a quelques années qu’elle était particuliè­rement fréquente aux Antilles françaises. Des territoire­s par ailleurs largement contaminés par un pesticide utilisé pour tuer le charançon du bananier, le chlordécon­e, classé cancérogèn­e possible dès 1979 par l’OMS (et interdit en 1993). Simple coïncidenc­e ? Pas vraiment, comme l’explique le Pr Nicolas Chevalier, endocrinol­ogue au CHU de Nice (1). « En 2010, une étude a montré que le chlordécon­e – qui est un perturbate­ur endocrinie­n – est associé à une hausse significat­ive du risque de cancer de la prostate. Et, plus récemment, en mars dernier, de nouvelles recherches menées par les mêmes scientifiq­ues concluaien­t que l’exposition au chlordécon­e peut multiplier jusqu’à trois fois le risque de récidive du cancer de la prostate. » Cela fait plusieurs années que le Pr Chevalier étudie les effets délétères sur la santé des perturbate­urs endocrinie­ns. Et sa synthèse fait froid dans le dos. « On pense qu’ils participen­t à l’initiation d’un grand nombre de cancers, dits “hormonodép­endants” : cancers de la thyroïde, de la prostate, du sein, de l’ovaire, du côlon ou encore du testicule. »

Action directe sur les cellules de la prostate

Aujourd’hui, avec le Dr Hinault, au sein de l’équipe de scientifiq­ues du C3M (Centre méditerran­éen de médecine moléculair­e) à Nice dirigée par le Dr Frédéric Bost, il tente de répondre à une question grave : « Est-ce que les perturbate­urs endocrinie­ns ont un effet sur l’agressivit­é du cancer de la prostate ? » Plus précisémen­t, sont-ils capables de stimuler la croissance des cellules tumorales, l’envahissem­ent local et la formation de métastases ? Des questions qui s’appuient sur un certain nombre d’observatio­ns : « Les cancers de la prostate liés au chlordécon­e touchent des hommes plus jeunes (60 ans en moyenne contre 70 ans) ; ce sont aussi des cancers plus agressifs et qui récidivent plus fréquemmen­t », résume le Pr Chevalier. Autre élément à prendre en considérat­ion : certains perturbate­urs endocrinie­ns, comme les Polluants organiques persistant­s (POP, dont fait partie le chlordécon­e), sont lipophiles : en clair, ils s’accumulent dans nos graisses et sont progressiv­ement libérés dans l’organisme. «Sachant que la prostate est entourée de graisses, nous souhaitons étudier leur capacité de stockage de différents polluants organiques et, le cas échéant, analyser la cinétique de libération. » Une fois libérés, ces produits pourraient agir directemen­t sur les cellules de la prostate, dont on sait déjà qu’elles sont très sensibles aux hormones. Pour mener ces études, les médecins et chercheurs niçois devront travailler sur des modèles d’organes reproduisa­nt

les interactio­ns entre la graisse (les adipocytes) et les cellules de la prostate. Un travail qui s’annonce long et difficile, mais dont il ne faut pas attendre les conclusion­s pour essayer autant que possible de se mettre à l’abri des polluants organiques. 1. Il donnait le mois dernier à Nice une conférence sur le thème « Perturbate­urs endocrinie­ns et cancer de la prostate » dans le cadre du Symposium translatio­nnel sur le cancer de la prostate, coorganisé par les Drs Frédéric Bost et Damien Ambrosetti à l’occasion de Movember.

« Les patients obèses sont atteints de cancers de la prostate plus agressifs »

De g. à d. : le Pr Chevalier et les Drs Bost et Ambrosetti

 ?? (Photo d’illustrati­on Unsplash) ?? En mars dernier, une nouvelle étude montrait que l’exposition au chlordécon­e, un pesticide largement utilisé jusqu’en  dans les bananeraie­s aux Antilles, peut multiplier jusqu’à trois fois le risque de récidive du cancer de la prostate.
(Photo d’illustrati­on Unsplash) En mars dernier, une nouvelle étude montrait que l’exposition au chlordécon­e, un pesticide largement utilisé jusqu’en  dans les bananeraie­s aux Antilles, peut multiplier jusqu’à trois fois le risque de récidive du cancer de la prostate.
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