Lartigue : « Quelle aventure ! »
Il y a un quart de siècle, il régnait sur le monde du rallye-raid et empilait les victoires à Dakar. Convié à partager ses souvenirs entre amis, chez lui, à Vence, Pierre Lartigue remonte le temps
Pour l’occasion, vendredi dernier, le Car Museum Club, somptueux écrin vençois dédié aux nobles mécaniques, a accueilli deux joyaux supplémentaires : un Mitsubishi Pajero millésime et une Citroën ZX Rallye Raid à peine plus jeune (). Des bêtes de course qui dévoraient les grands espaces, jadis, cravachées par les mains expertes de Pierre Lartigue. À ans, le « renard de Mostaganem », quadruple champion du monde et triple vainqueur du Dakar, est intarissable quand on lui demande de rembobiner le film de sa longue trajectoire ô combien fructueuse. L’auditoire friand de petites et grandes histoires réuni par des amis passionnés peut témoigner. Incroyable mais vrai : avec lui, on a traversé les déserts du Ténéré et de Gobi en moins de deux heures. Flash-back...
Pierre, votre exploration du Paris-Dakar, en , elle vous semble loin ou c’était hier ?
Quand j’y pense, ça me paraît récent. Le temps file si vite. Je me souviens parfaitement du coup de fil qui a tout déclenché.
Fin , au mois d’octobre, j’étais encore chauffeur routier, je venais de rentrer chez moi. À deux heures du matin, mon épouse me prévient qu’on va m’appeler. Sitôt dit, sitôt fait ! Un gars que je ne connais pas, un barman (Patrick Destaillats, son futur copilote, ndlr), me propose de piloter le Range Rover engagé par un certain Eric Clérico, propriétaire de plusieurs établissements de nuit parisiens, tels le Lido ou le Club , la grande discothèque des ChampsElysées à l’époque.
Et alors ?
Quelle aventure ! J’ai découvert un autre monde. Loin, très loin des rallyes de chez nous. D’abord la traversée de la France sur des routes bordées de spectateurs innombrables, malgré le froid, la pluie. Et puis le désert. Le vrai. Des étapes de bornes
au milieu de nulle part. Le jour, le thermomètre culminait à - degrés. La nuit, il pouvait tomber jusqu’à - °C dans le Sud algérien. Figurez-vous que j’avais oublié de mettre une gamelle dans mon paquetage. Donc je me servais d’un cache phare pour manger la soupe d’Africa Tour, chaque soir au bivouac.
Vous aviez vu Dakar ?
Mieux que ça ! On finit au pied du podium (e). Premier équipage privé. Après les deux prologues sur terre disputés en France, à côté d’Orléans et de Nîmes, nous pointions carrément en tête. Devant la Renault des frères Marreau (les vainqueurs de cette e édition) ,les Mercedes de Jaussaud et Ickx, entre autres. On a gardé notre position durant les cinq ou six premières étapes africaines. De quoi contenter M. Clérico. Personnellement, ce fut un tournant important. Je me suis fait remarquer. Oui, ce fut un vrai coup de boost pour ma carrière de pilote qui se prolongera chez Lada-Poch, chez Mitsubishi, avant d’atteindre le sommet avec Citroën. , , : quel Dakar victorieux trône en pole position dans votre album de souvenirs ? (Du tac au tac) Le dernier, bien sûr. D’abord parce que c’était au volant de la ZX la plus performante. Ensuite car j’avais mené la danse d’un bout à l’autre. Ce fut une bagarre féroce contre Mitsubishi. Contre mon coéquipier, aussi. (Il sourit)
Cette rivalité interne avec Ari Vatanen avait fait les choux gras des médias... La presse aimait beaucoup Ari, donc elle le soutenait. Moi, franchement, je m’en fichais. Seul le résultat m’intéressait. Il y avait aussi Timo Salonen. Essayer de battre ces « pointures », des champions que j’allais voir passer sur les routes du Monte-Carlo dix ans plus tôt, ça me plaisait. Je suis content d’avoir réussi.
Pour battre Vatanen, vous aviez une méthode, un secret ?
Chaque matin, j’allais vers lui pour discuter de l’étape du jour. Je le titillais, je le provoquais, histoire de le pousser à attaquer toujours plus. Généreux dans l’effort, Ari fatiguait pas mal sa mécanique alors que je m’appliquais à ménager la mienne. En rallye-raid, pour gagner, il ne faut jamais s’arrêter.
La ZX, c’était l’arme absolue, hein ?
Ah oui ! La meilleure auto que j’ai pilotée. Aussi fiable que rapide. Ayant accompli environ % de son développement, je la connaissais par coeur.
La victoire au ParisMoscou-Pékin pèse-telle aussi lourd que celles décrochées à Dakar ?
Oui, plus lourd même... C’est mon épreuve fétiche. Citroën, qui alignait cinq ZX, voulait absolument remporter cette course unique disputée sur les traces de la croisière jaune. Six pays, jours, bornes... Sur des terrains que tout le monde découvrait. La Chine, alors en conflit avec l’URSS, avait donné le feu vert pour franchir une frontière fermée depuis des lustres.
Durant la seconde moitié du parcours, j’étais leader devant trois Mitsubishi. Je portais tous les espoirs de victoire de Citroën sur mes épaules. Les patrons, Jacques Calvet, Jean Todt me mettaient la pression sans cesse. Mais leurs mots ne m’atteignaient pas. Même si la route semblait interminable, je maîtrisais la situation.
Le Dakar a-t-il perdu son âme en déménageant en Amérique du Sud ?
Au Paris-Dakar, on traversait des immensités désertiques sans croiser un spectateur. En Argentine, au Chili, en Bolivie, le champ d’action n’a rien à voir. L’édition s’est déroulée uniquement au Pérou. Ils ont tourné en rond pendant deux semaines ! Maintenant, cap sur l’Arabie saoudite. Je n’aime pas ce pays pour des raisons extra-sportives mais il faut reconnaître que le terrain est plus approprié.
On reverra le Dakar rouler en Afrique un jour ?
(Sur un ton ferme) Non, pas là où il passait autrefois. La menace terroriste va crescendo. Trop de risques partout ! D’ailleurs, j’ai du mal à comprendre pourquoi l’organisation ne change pas le nom puisque le Dakar ne voit plus Dakar.
‘‘
Ari (Vatanen) fatiguait pas mal sa mécanique ”
Si c’était à refaire ?
Peut-être que j’assouplirais mon caractère, histoire de ne pas dire toujours ce que je pense. Cela m’a parfois desservi. Mais je n’ai pas gardé d’ennemis. Je ne suis fâché avec personne aujourd’hui, c’est l’essentiel.