« On reçoit plus qu’on ne donne » Témoignage
Channe année, Charles Collet, chirurgien ORL à l’hôpital Sainte Musse à Toulon, prend 15 jours de congés pour aller opérer au bout du monde des enfants atteints de malformations
Il est déjà parti cinq fois en mission, avec l’association humanitaire française « Enfants du Noma » (1). Et il continuera aussi longtemps qu’il le pourra. Aussi longtemps que des enfants – des adultes aussi – atteints de tumeurs ou de malformations comme les fentes labio-palatines (plus connue sous le nom de « bec-de-lièvre ») ne pourront bénéficier des soins nécessaires dans leur propre pays, faute de chirurgiens formés. Chirurgien maxillo-facial à l’hôpital Sainte Musse à Toulon, Charles Collet, 34 ans, réussissait il y a quelques années un véritable tour de force ; encore interne – et alors que ce statut ne permettait pas jusque-là de participer à des missions humanitaires – il parvenait à convaincre le Pr Guyot, chef de service à l’hôpital Nord de Marseille, de l’intégrer dans l’équipe lors de sa prochaine mission. «Je l’ai traqué pendant un mois et demi, jusqu’à obtenir son accord », s’amuse-t-il. Cette première expérience au Burkina Faso – qu’il va financer avec ses propres deniers et au cours de laquelle il pourra simplement apporter une aide opératoire – va confirmer ce qu’il sait déjà : il est à la bonne place, auprès de ces dizaines de personnes qui placent auprès de ces médecins, de ces soignants tellement d’espoir.
Des centaines de km, des enfants sur le dos
Charles Collet confie : « On reçoit plus qu’on ne donne ». « Auprès de ces populations, on éprouve un sentiment très fort d’utilité. Elles ne nous attendent pas comme le messie, et c’est bien ainsi, mais elles nous comblent, à travers l’accueil qu’elles nous réservent, les échanges – pas nécessairement oraux – que nous avons avec elles, les chants qu’elles nous offrent. En France, on a tendance à se plaindre pour un rien ; là-bas, les gens se comportent de façon très digne, alors qu’ils ont parfois parcouru des centaines de kilomètres à pied, des enfants sur le dos, pour venir jusqu’à nous. » Prévenus
de l’arrivée de ces équipes d’humanitaires, lestées de dizaines de kilos de matériel chirurgical, anesthésique, de médicaments, par des correspondants locaux qui utilisent des relais médiatiques, ils sont des centaines à les attendre. Après les avoir tous reçus en consultation et établi un diagnostic, l’équipe composée de chirurgiens, anesthésistes et infirmiers de bloc tous bénévoles parvient à opérer plusieurs dizaines de patients pendant les 10 jours qu’elle passe sur place. « Dès ma première mission au Burkina Faso, c’est plus de 100 patients que j’ai vus passer au bloc. » Des moments heureux, Charles en a de très nombreux en mémoire. La joie retrouvée après l’opération pour ces enfants – ou ces adultes – rejetés, mis à l’écart du village, à cause de leur malformation.
« Eviter d’y penser trop longtemps »
« Le contexte politique ne nous permet plus d’aller au Burkina Faso où le Noma (gangrène de la bouche, Ndlr) est fréquent, relate Charles. L’association réalise désormais l’essentiel de ses missions au Laos, au Bénin, à Madagascar, en Guinée et en Tanzanie, des pays où le Noma est beaucoup moins fréquent. Ce que l’on opère ce sont surtout des fentes labio-palatines et des tumeurs bénignes. » Faute de réanimation, les chirurgiens ne peuvent pas prendre en charge certaines pathologies trop lourdes ou nécessitant des reconstructions complexes. « Les suites opératoires doivent rester simples, car si des complications surviennent lorsque l’équipe est déjà partie, elles seront difficiles à prendre en charge. »
Exceptionnellement, l’association met en route une prise en charge en France. « Je me souviens ainsi de cet enfant de 4 ans atteint d’une très grosse tumeur au niveau de la mâchoire ; la biopsie réalisée sur place ayant confirmé le caractère bénin de sa pathologie, nous avons pu organiser, par l’intermédiaire d’une autre association, son transfert au CHU de Caen où il a bénéficié d’une chirurgie curative et réparatrice. » Une chance pour cet enfant. Tous n’ont pas cette opportunité. Charles garde aussi en tête ces moments difficiles où il doit faire aveu d’impuissance. « On ne peut rien faire lorsque l’on se retrouve face à des enfants ou des adultes atteints de cancer en particulier. On ne peut même pas envisager de les rapatrier, dans la mesure où ils ont besoin de traitements longs et lourds, comme des chimiothérapies ou de la radiothérapie, qui les contraindraient à rester des années en France. » Ces situations, Charles avoue que lui, comme les autres membres de l’équipe, essaye « d’éviter d’y penser trop longtemps ». « C’est dur de se dire qu’on pourrait faire quelque chose pour ces personnes en France, mais que là, c’est impossible. »
Qu’on n’ait plus besoin de lui
Rien ne semble pour autant pouvoir décourager ce médecin de poursuivre ses missions. Rien, même s’il admet des moments de doute. Le décès, lors de la dernière mission, d’un bébé de 6 mois victime d’une complication respiratoire imprévisible la nuit suivant son opération reste douloureux. « Ce type d’événement entraîne forcément chez toute l’équipe une remise en question. Mais nous en avons longtemps discuté ensemble et avec les membres du bureau de l’association, pour essayer de comprendre les raisons de ce décès. Finalement, cela nous a même confortés dans la légitimité de nos actions dans les pays où nous intervenons. » Son rêve aujourd’hui : que ces populations qu’il soigne n’aient bientôt plus besoin de lui. Parce qu’elles bénéficieront dans leur pays d’une prise en charge par des spécialistes formés. « On n’est pas là pour sauver le monde, on n’est audessus de personne. Notre mission, c’est simplement d’aider et former. »