En Marche à l’arrêt
Habité par la certitude qu’il est le seul et unique maître à bord du navire La République En Marche (LREM), convaincu non sans raison que les députés de sa majorité n’auraient jamais été élus sans sa victoire à la présidentielle, Emmanuel Macron considère en fait ses troupes comme des godillots qui n’ont d’autre choix que d’approuver ses décisions et de le suivre aveuglément. Certes, il leur concède quelques gestes d’intérêt mais, en réalité, toujours sûr de son fait, il avance sans eux. La réforme des retraites en est la preuve. Conçue à la hâte par de bons esprits sur une idée générale intéressante – l’instauration d’un régime universel par points – ce projet n’a pas été sérieusement travaillé pendant une élection menée à la hussarde. Sa faisabilité n’a pas non plus été vérifiée avant de le lancer. Certes, un homme, JeanPaul Delevoye, fut désigné dès le début du quinquennat pour traiter le dossier mais il est aujourd’hui évident que cette longue concertation n’a été qu’un trompe-l’oeil. Le pouvoir s’est avéré incapable de soumettre, ou n’a pas voulu soumettre, un projet abouti aux partenaires sociaux. Résultat, la crise sociale dans laquelle le pays est désormais plongé et une radicalisation qui risque de rendre inaudibles les propositions que fera le Premier ministre ce mercredi. Le plus étonnant est de voir la méthode Macron, ou sa non-méthode, se retourner contre lui dans son propre camp. De toute évidence, un profond trouble s’est installé dans la majorité marcheuse qui a déjà vu députés la quitter. Certes, avec membres dans l’hémicycle, le parti macronien a encore une bonne marge majoritaire de sièges mais cette petite hémorragie (un départ par trimestre en moyenne depuis ) reflète le mal-être de ce groupe parlementaire qui ne comprend plus très bien la stratégie de son chef. Bref, un mal-être s’installe au coeur de la macronie.
Il n’est pas mortel mais il prive le gouvernement d’un franc appui de députés déboussolés qui, comme bien des ministres, d’ailleurs, ne savent pas grandchose du projet qu’ils doivent défendre.
Un merveilleux aphorisme du grand écrivain autrichien Arthur Schnitzler s’applique parfaitement à cette situation : « Il y a trois sortes d’hommes politiques : ceux qui troublent l’eau ; ceux qui pêchent en eau trouble ; et ceux – les plus doués – qui troublent l’eau pour pêcher en eau trouble. » A l’évidence, le chef de l’Etat a voulu troubler l’eau de la réforme des retraites pour imposer son projet au nez et à la barbe de tous.
Mais elle est devenue si trouble que plus personne ne s’y retrouve à commencer par les siens.