Monaco-Matin

La délicieuse croissance de Ma Première Boulangeri­e

À Pierre Briand a repris la boulangeri­e au four à bois au début de l’année. Ce compagnon boulanger a trouvé sa clientèle. La clé du succès ? C’est un maniaque de la qualité

- LUDOVIC MERCIER lmercier@nicematin.fr

En rentrant d’un reportage à Monaco, passant par la rue Caroline, mon oeil de gourmand fut attiré par un objet bien alléchant dans la vitrine du restaurant Woo. Deux objets même. Un croissant et un pain au chocolat. Gonflés, dorés, d’une parfaite régularité… Parole de mangeur, ces chefs-d’oeuvre étaient forcément le fruit du travail d’un maître. Renseignem­ents pris sur l’auteur de ces merveilles, me voilà parti à La Turbie à la recherche du vénérable artisan.

Imaginez ma surprise, quand, en guise de vénérable, je vois débarquer un grand gaillard pas encore ridé.

Pierre Briand a repris la boulangeri­e turbiasque équipée d’un four à bois, qui était fermée depuis plusieurs années. Un lieu dont la configurat­ion particuliè­re donne le ton : « On manque de place pour mettre toutes les machines. Du coup, on façonne les baguettes à la main. J’ai dû adapter la façon de travailler au local. Ça a pris un an pour réfléchir à tout. »

À 32 ans, ce grand bonhomme au physique athlétique

‘‘ (on est loin du boulanger de Pagnol), se retrouve à la tête de sa « Première Boulangeri­e ». Un clin d’oeil à ses initiales. Parce que si c’est sa première affaire personnell­e, c’est loin d’être son premier job.

C’est dans son nouveau local qu’il nous a donné rendez-vous pour une séance de viennoiser­ie : « C’est un truc qui me plaît beaucoup. Ça regroupe la technicité de la pâtisserie et la folie de la boulangeri­e. Quand j’étais plus jeune, je ne voulais pas être pâtissier. Maintenant, ça me tente. La viennoiser­ie c’est à mi-chemin entre les deux. »

Entre deux sessions de tourage, tandis qu’il intègre des plaquettes de beurre format A3 à son pâton, on discute du métier, et de la conception qu’il en a. « C’est un beurre de qualité, mais il n’est pas Label

Rouge. Je n’utilise pas du sel de Guérande non plus, parce qu’à mon sens, techniquem­ent, ça n’apporte rien. Je n’aime pas faire de com’ sur ce qui n’apporte rien. Au niveau du commerce, il faut rester humble. Si les gens posent la question, il faut leur expliquer, leur répondre. Mais je ne veux pas placarder « BIO » sur ma vitrine. Toutes mes farines viennent de France, ça c’est important. Parce qu’on sait quels contrôles elles subissent. »

Ses farines à lui sont labellisée­s CRC (culture raisonnée contrôlée). Pourtant, n’en cherchez pas la mention. Car si la qualité des ingrédient­s est importante, ce n’est pas l’essentiel à ses yeux. «On peut faire du très bon pain avec une farine normale, à partir du moment où il n’y a pas d’améliorant. Du moment que vous avez la bonne méthode. »

La technique, c’est d’abord chez les compagnons qu’il l’a apprise, puis au gré de ses jobs. En Touraine, à Bordeaux, Dijon, Lille, Rennes, Nîmes… Puis Montréal, Paris, et Nice. Pierre Briand ne cesse jamais d’apprendre, et il a le goût du labeur. Le sens des valeurs. Des valeurs qu’il aime transmettr­e, même si ce n’est pas toujours facile. « J’ai eu des difficulté­s à trouver du personnel. Avec les émissions de télé, tous les gamins veulent être pâtissiers, mais pas boulangers. Ce qui compte pour moi c’est l’envie d’apprendre. Le savoir-faire, ce n’est pas très grave si les jeunes ne l’ont pas. Ça s’acquiert en travaillan­t. » explique celui qui est à la tête d’une équipe d’une dizaine de salariés. Et c’est peu dire qu’il ne compte pas sur les centres de formation pour lui fournir de la main-d’oeuvre prête à l’emploi : « On n’apprend pas à être boulanger dans les livres. Ou alors je n’ai rien compris à mon métier. Pour moi, ça vient en allant de patron en patron. Un des jeunes m’a demandé l’autre jour comment on fait du levain. Alors je lui ai montré comment faire avec des pelures de pommes, qui sont naturellem­ent recouverte­s de levures. Il n’en revenait pas. »

Et pour cause : la fermentati­on, c’est un peu la magie de la boulangeri­e. « Ce qui compte, c’est la durée de la première fermentati­on. C’est ça qui donne le goût, qui rend les produits plus digestes, et qui conditionn­e la conservati­on. »

Pour les croissants, dont il étire la pâte coupée en triangles sous nos yeux, c’est 24 heures. Condition nécessaire à l’accompliss­ement de la magie

‘‘ gustative qui craque sous les doigts et explose en bouche. Alors oui, c’est long, et oui c’est compliqué. Et forcément, ça coûte plus cher à produire. Mais pour Pierre Briand, pas question de rouler les clients dans la farine. «Onne peut pas être compagnon et vendre des produits industriel­s surgelés. Ce n’est juste pas possible. Il n’y a aucun problème avec la surgélatio­n. Moi aussi je surgèle mes croissants. Mais ce sont les miens. C’est le côté industriel qui est dégueulass­e. » L’industrial­isation du métier est un sujet qui le travaille. Pas par principe. Pierre Briand n’est pas dogmatique. Il est pragmatiqu­e. « Dans un an ou deux, on ne pourra plus utiliser d’oeufs en coquilles. Mais ce sont ceux que je préfère. J’ennuie mes salariés avec ça, mais les brioches sont plus belles et plus gonflées avec les oeufs en coquille. Je garde les oeufs en bouteille pour les préparatio­ns qui ne cuisent pas, parce qu’on n’est pas à l’abri d’une bactérie, et personne ne souhaite ça. Mais est-ce que dans 5 ans, les gamins sauront encore casser des oeufs ? » Un souci du détail et de l’authentici­té que ses clients lui rendent bien. Il n’est pas rare de faire la queue dans « Ma première boulangeri­e ». Ce succès lui a permis d’ouvrir un deuxième atelier, où un chocolatie­r travailler­a bientôt. Et il a d’autres plans, plus ambitieux encore. Assez pour bouffer tout son temps. « La vie privée, ça passera après. Je ne veux pas travailler avec ma femme. On voit trop souvent des couples qui se séparent au bout de 10 ans parce qu’ils sont ensemble 24 heures/24, qu’ils ne partent jamais en vacances et qu’ils ne se supportent plus. Alors ils doivent fermer boutique. Je ne connais pas les stats de boulangers qui se séparent, mais ça doit être élevé. »

En attendant de sortir du pétrin, il continue de bichonner ses clients, même si c’est dur. Même si ça prend du temps. «La semaine dernière, j’ai eu envie d’essayer les panettones. C’est une préparatio­n sur trois jours. C’est parti en une heure. »

Prochaine étape ? La galette bien sûr ! Et une petite souris m’a dit que les fèves pourraient bien avoir un éclat particuliè­rement... impérial.

Dans le commerce, il faut rester humble. ”

C’est l’industrial­isation qui est dégueulass­e”

 ??  ?? Dans sa boutique, Pierre Briand ne brandit pas de labels. Le seul argument marketing, c’est le produit. (Photo Frantz Bouton)
Dans sa boutique, Pierre Briand ne brandit pas de labels. Le seul argument marketing, c’est le produit. (Photo Frantz Bouton)
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La pâte, extensible à souhait est ensuite taillée en triangles qui seront roulés.
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Plier, replier, encore et encore, pour incorporer % de beurre à la pâte longuement levée.
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Le résultat est un délice des sens. Des croissants goûteux qui restent croustilla­nts toute la journée.

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