Monaco-Matin

Ben : « Pour réfléchir à la vie, un confinemen­t zen »

Plutôt zen, pour qui connaît son hypocondri­e, sa parano et ses angoisses, Ben Vautier se confine sur les hauteurs de Le coronaviru­s et l’art, les amis ou la vie : il réfléchit…

- Recueilli par FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Sa dernière newsletter est presque totalement dédiée au coronaviru­s. « Ne vous faites pas de souci, l’espèce humaine s’en sortira très bien », prophétise Ben, 84 ans. Tout juste manquera-t-il à l’appel « quelques vieux comme moi… », prend-il soin d’ajouter.

Un drone survole-t-il Saint-Pancrace pour t’ordonner de rester chez toi ?

Non, je n’ai pas vu ça. Ma femme m’empêche de sortir et c’est plus efficace. Je voulais organiser une surprise-party pour rencontrer beaucoup de monde, elle me l’a interdit. Elle croit surtout que c’est moi qui vais infecter les autres. Bon, le coronaviru­s, on peut le prendre d’une façon dramatique. Ou pas.

Qu’y a-t-il de positif ?

Je me demande si les gens, confinés chez eux, ne vont pas être obligés de réfléchir sur eux-mêmes. Et sur la vie. Un confinemen­t presque zen, obligatoir­e, cela fera peut-être du bien. Certains vont se rendre compte qu’ils ont plus besoin des autres qu’ils ne le pensaient.

Et toi, les autres te manquent ?

J’ai téléphoné à Gérald Panighi [artiste de Nice et ami de Ben] parce qu’il me manquait. Dieu merci, le téléphone marche, sans quoi ce serait traumatisa­nt. Mais je ne suis pas vraiment catastroph­iste. Moins que ma femme, Annie, qui stresse dès qu’elle regarde les nouvelles. Moi, je ne crois pas qu’on puisse me mettre dans ce panier. Mais s’il le faut, je veux bien faire semblant d’être stressé…

Même pas peur ?

La seule chose qui me fasse vraiment peur, c’est de ne pas pouvoir respirer. Cette phase de suffocatio­n m’angoisse. Sinon, admettons que le coeur s’arrête, ça ne me fait pas peur. Je dirais même que le cancer, car j’ai un petit cancer, m’inquiète moins que le coronaviru­s s’il devait m’empêcher de respirer.

Mais ce cancer, il est guéri ?

Normalemen­t, oui.

Mais je ne sais pas ce que ça veut dire, guéri. Je pisse autant qu’avant, j’ai mal parfois, je suis au Doliprane depuis longtemps. Le paracétamo­l, ça me connaît. Un la nuit, un autre le matin.

Pas de cauchemar lié au Covid ?

J’en fais, des cauchemars. Depuis longtemps. Ils sont sexuels. C’est le Ben sexmaniac qui croit que toutes les femmes vont l’attaquer. Mais au fond, c’est peut-être plus un fantasme qu’un cauchemar…

Le coronaviru­s t’inspire ?

Pas vraiment. C’est plutôt bloquant. Je suis en train de faire un livre, Vrac, et de travailler sur mon film. Deux projets que je voulais faire avancer, or je n’ai écrit que trois chapitres et quelqu’un de l’Esra [École de cinéma, son et animation, de Nice] qui m’aidait sur le film est maintenant confiné. Autre problème : je devais faire une grande exposition pour Guy Pieters à Saint-Tropez.

J’ai fait la moitié des tableaux et tout est reporté. Tout ce que j’entreprend­s est en stand-by.

Ce virus sera-t-il bon ou mauvais pour l’art ?

C’est une question que je me suis posée. Il doit y avoir beaucoup de négatif, mais aussi un petit côté positif. Qui est le suivant : ce virus va remettre les pendules à l’heure. Pour tous ceux dont les petits soucis passent désormais au second plan. Pour moi, la priorité, c’est de finir ce que j’ai commencé et de continuer la création. Je suis quand même découragé, car mes projets ont perdu de leur raison d’être par rapport à la notion de vie. Par exemple, je viens de faire une expo aux Abattoirs de Toulouse, où sont venus beaucoup de Milanais. Ils sont retournés en Italie et j’avais envie de leur téléphoner pour échanger des nouvelles. Mais quel langage utiliser avec des gens en pleine déroute de corona ? Leur parler d’art ? Ce que l’on croyait essentiel, et même vital, l’est beaucoup moins ou ne l’est plus du tout. Voilà, ce coronaviru­s remet les compteurs à zéro, sur le plan de l’importance des choses.

Le marché de l’art va s’écrouler ?

Là encore, je me suis posé cette même question. Est-ce que le corona va faire monter les prix ou entraîner une catastroph­e ? Je pense que la catastroph­e est possible mais que, dans le même temps, on peut avoir une sorte d’assainisse­ment. Après la crise, un genre de sélection. Comme si l’on passait tous les artistes dans un tamis pour voir ce qu’il en reste. Les démagogues street art ne marcheront peut-être plus aussi facilement

‘‘ que ceux qui philosophe­nt ou réfléchiss­ent.

Mais je dis peut-être des c…

Quel tableau serais-tu tenté de faire autour du coronaviru­s ?

J’en avais imaginé au moins cinq ou six, mais j’ai tout oublié. L’autre jour, j’ai commencé à en faire un qui disait : «Onest tous foutus. » Cette phrase était trop pessimiste, j’ai arrêté.

Des gens pensent que tu fais toujours la même chose. Tu vas en profiter pour tout changer ?

Malheureus­ement, ils ont raison. On ne peut pas faire autre chose qu’être soi-même. Souvent, des artistes veulent changer. Ils n’y arrivent pas. Malgré eux, leur style est toujours là. Picasso est le seul qui ait étonné. Mais il était toujours le même, au fond, à la recherche du nouveau. C’est ce que j’essaie de faire. Trouver du nouveau. Si je devais monter tout de suite une expo, je serais tenté de faire des tableaux autour du corona, mais le marchand m’en empêcherai­t, au motif que ce ne serait pas positif. Pour le marché, mieux vaut oublier. Tandis que moi, j’aurais envie de creuser. À Toulouse, l’autre jour, j’ai installé un lit dans l’expo, je me suis allongé et j’ai commandé vingtcinq bouteilles de Corona pour en distribuer à tout le monde. Un vigile est venu m’interdire de distribuer des boissons alcoolisée­s. J’ai dû renoncer.

Qu’est-ce qui changera demain, après le virus ?

La politique internatio­nale. Pour le moment, c’était : les Américains pour eux, les Chinois pour eux, les Russes pour eux, les Allemands pour eux, etc. Un combat de nationalis­tes.

Je me dis que le corona est peutêtre une bactérie envoyée par des extraterre­stres et qui ne fait pas de tri entre les peuples. Il attaque autant Israël que la Palestine, ou la Chine, ou les États-Unis. Il y a donc une forme d’universali­sme dans le corona qui, si l’on pensait en termes de politique extérieure, pourrait arranger les choses. Pourquoi aller se taper dessus et s’entre-tuer si le corona est là qui nous écrase sans distinctio­n ? Cet universali­sme-là est-il positif ou non ? Je ne sais pas. En tout cas le corona n’a pas de carte d’identité. Pour le moment.

Et toi, tu l’as le virus ?

Sincèremen­t, je l’ai cru. J’avais mal aux jambes et à la tête et je toussais beaucoup. Mais tout s’est arrêté. Depuis deux jours, je me sens mieux. Je mange des noix ! Elles ont la forme du cerveau. Comme mon cerveau à moi va moins, je crois que les noix me font du bien.

Que t’évoque la ruée sur les pâtes ou le papier toilette ?

Ah, le papier toilette, c’est comique, quand même ! Je n’ai pas compris pourquoi. Au fait, j’ai retrouvé chez moi quatre boîtes de masques qui remontent à l’époque du virus HN. J’avais acheté ce stock pour faire une édition. Mais je ne vais rien faire du tout, je préfère les donner à mes enfants, à mes petits-enfants, à tous ceux qui veulent des masques et que j’invite à venir ici.

On n’a pas le droit de sortir !

Ah oui, c’est vrai… C’est ma femme qui les a trouvés, je les avais rangés en bas. J’aurais pu en prendre un et écrire dessus : «SOS» . Mais non, ça ferait pleurnicha­rd. Ou «Zorro» , mais je ne suis pas Zorro. Le pire, c’est que je suis créatif mais que j’oublie toutes mes idées dans la

Je suis créatif, mais j’oublie”

‘‘

Comme dans un monde de science-fiction”

minute qui suit…

Les gens sont-ils plus égoïstes ?

Bonne question… J’avais rendezvous, tous les après-midi, place Garibaldi, avec des amis comme François Paris, Gérald Panighi et deux ou trois autres artistes. Je payais des bières, tout le monde était content, c’était une habitude. Je me demande comment les choses vont se passer après, et si quoi que ce soit aura changé. Beaucoup, finalement, ne croient pas à la gravité du corona. Et d’autres pensent que c’est encore plus grave qu’on ne le dit. Moi, je suis sceptique. Non pas sur l’existence du virus, mais parce que j’ai l’impression de vivre dans un monde de science-fiction. Comme si le corona était un petit animal qui viendrait infecter tout le monde pour dire : soyez unis ! Ou, au contraire, pour le rappeler : l’espèce humaine n’est pas si importante que cela. Voilà. Il y a peut-être un message derrière le corona. Qu’il nous appartient, à nous tous, de comprendre.

Optimiste ?

Oui. Oui, oui. Parce qu’il y a de l’ego, derrière. Pas seulement le nôtre, il y a aussi l’ego du corona. Tout ce qui vit et se reproduit a un ego, par conséquent le virus a un ego. Comme tout le monde, il veut gagner.

On va donc le combattre. « C’est une guerre », a dit Macron.

Fêteras-tu la fin de l’épidémie ?

L’épidémie ne va pas se terminer si facilement. Elle s’éteindra progressiv­ement. On ne pourra pas écrire en grand le mot « fin ». Ce sera plutôt une demi-fin. Une façon de dire : attention, je reviens.

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