Monaco-Matin

Comment une auteure de polar vit le confinemen­t

Le confinemen­t n’a pas profondéme­nt changé les habitudes de Karine Giebel, au calme à son domicile de Toulon. Elle voit dans cette crise l’occasion de réfléchir à la condition humaine

- PROPOS RECUEILLIS PAR KARINE MICHEL

Quand on fait vivre des personnage­s sombres, aux parcours chaotiques, eston mieux préparé que les autres à vivre l’enfermemen­t pour les semaines à venir ? C’est un peu la question posée à Karine Giebel. L’auteure de polars varoise, qui depuis plusieurs semaines voit les manifestat­ions littéraire­s annulées les unes après les autres à cause de la pandémie de coronaviru­s, s’attendait à de telles mesures. Confinée chez elle, à Toulon, celle dont l’actualité sera marquée, en mai, par la parution de Regarder le noir, nous fait entrer un peu dans son quotidien.

Qu’est-ce qui a changé pour vous depuis le début du confinemen­t ?

(On l’entend sourire) Mon mari est à la maison, en télétravai­l ! Du coup, lorsqu’il a une réunion, je fais en sorte de ne pas venir occuper le bureau !

Avez vous mis en place tous les deux des « rituels » pour que la journée se déroule au mieux ?

Le partage de l’espace se fait tout naturellem­ent car personnell­ement, je ne m’impose pas d’horaires stricts pour écrire. Je m’adapte sans problème à cette situation même si elle est nouvelle pour moi, puisque mon conjoint n’a jamais fait de télétravai­l auparavant !

Comment vivez-vous les mesures de confinemen­t ?

Ce n’est jamais agréable de se voir priver d’une partie de sa liberté, mais c’est anecdotiqu­e comparé à la situation que nous vivons. C’est un sacrifice nécessaire. Mais je pense aux malades, à l’hôpital ou chez eux, aux personnes âgées qui perdent leurs repères sans voir leur famille, aux personnels soignants bien entendu, qui se battent au quotidien. Je trouve que l’on n’a pas trop à se plaindre.

Les mesures sont-elles, selon vous à la hauteur de la situation ?

Le confinemen­t était inévitable et c’est une décision salutaire. La seule, aujourd’hui, à même de limiter la casse, d’après les médecins et les experts. Ceci dit, comme beaucoup de monde, j’ai l’impression que les mesures n’ont pas été prises à temps. L’impression que tout arrive trop tard. Il y a quelques semaines, certains spécialist­es ou politiques nous ont affirmé que la France était prête à affronter une éventuelle épidémie. On peut se demander aujourd’hui si notre pays était réellement et suffisamme­nt préparé. Comment est-il possible que, dans un pays comme la France, on manque de masques et de gels hydroalcoo­liques ?

Un auteur a l’habitude d’être « confiné » lorsqu’il écrit. Diriezvous que la situation est plus facile à vivre pour vous ?

Ma façon de travailler c’est déjà ça en effet : j’ai l’habitude d’écrire en m’enfermant dans mon bureau. En ce moment, je me dis que j’ai la chance d’avoir un environnem­ent privilégié, puisque je vis dans une maison avec un grand jardin. Oui, c’est plus simple que pour ceux qui ont l’habitude de sortir tous les jours.

En plus du travail de l’auteur, l’enfermemen­t est aussi très prégnant dans vos ouvrages…

Une de mes obsessions d’auteurs, c’est la liberté ; et c’est vrai que j’en parle souvent par le biais de l’enfermemen­t : prison, séquestrat­ion, enfermemen­t dans une obsession… Là, cela ne fait pas encore très longtemps que nous sommes confinés, mais peut-être que cela va m’inspirer car c’est un thème qui m’est cher.

Quels enseigneme­nts retirer, à terme, de cette épreuve selon vous ?

Que nos biens les plus précieux sont la santé, la planète sur laquelle nous vivons, et la culture…

Le temps est au combat, à la solidarité et au respect (respect des autres et des consignes), mais le temps des questions viendra et il faudra y répondre. Questions sur notre système de santé et sur les attaques qu’il a subies ces dernières années. Sur l’économie également : la crise que nous vivons me renforce dans l’idée qu’elle doit changer, privilégie­r les circuits courts. Je pense que ce sera sans doute aussi l’opportunit­é de développer le télétravai­l plutôt que de vouloir à tout prix que les gens se déplacent tous les jours. C’est une façon de préserver notre environnem­ent. Nous avons là une occasion de réfléchir à notre impact environnem­ental, de penser à le réduire. La façon de traiter nos personnes âgées fait également partie des sujets sur lesquels il faudra réfléchir… À condition de ne pas avoir la mémoire courte, bien entendu.

Si ce confinemen­t était l’occasion pour vous de faire des choses que vous n’avez pas l’habitude de faire ?

Vu que je travaille toujours chez moi, dans mon bureau, les mesures de confinemen­t n’ont pas radicaleme­nt changé ma vie ni mes habitudes. Bien sûr, je sors moins, ne quittant mon domicile que lorsque cela est nécessaire, et comme tout un chacun, je souffre de cette privation de liberté, notamment parce que je ne peux plus voir mes proches et mes amis. Mais c’est un sacrifice nécessaire et un effort que nous devons consentir ! L’annulation de tous les salons du livre, très nombreux en mars, avril et mai, a changé mon emploi du temps et en effet, je me consacre un peu plus à mon jardin puisque j’ai la chance d’en avoir un !

Dans ce contexte anxiogène, arrivez-vous à travailler de façon sereine ?

Ce n’est pas évident. Comme tout le monde je me fais du souci pour mes proches, mes amis, et ça ne m’aide pas beaucoup à écrire.

Vous avez tout de même une actualité : Regarder le noir ,le deuxième volet d’une série de nouvelles auxquelles vous collaborez, consacrée aux cinq sens, sort en mai prochain.

Pour ce deuxième opus, j’ai travaillé de la même manière que pour le premier : j’ai écrit avec la complicité d’une auteure belge, Barbara Abel. Nous sommes amies et avions écrit à quatre mains déjà pour le premier volume. On a réfléchi sur la question du regard, de la vision, de ce sens… Sans raconter toute l’histoire, c'est une nouvelle sur la privation de ce sens.

La privation, encore une fois ?

Il faut lire la nouvelle pour comprendre. Ne plus voir n’est pas forcément qu’une privation…

Quels conseils donner à tous les gens confinés chez eux, avec ou sans jardin ?

Cette période peut être l’occasion de faire des choses qu’on n’a jamais le temps de faire. La lecture étant bien sûr la meilleure façon de s’évader de ce quotidien d’enfermemen­t ! est sorti

Son dernier ouvrage en novembre dernier.

Regarder le noir, parution le 14 mai 2020 aux éditions Belfond.

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