Monaco-Matin

« Chaque mois de confinemen­t c’est 2 à 3 points de PIB perdus »

Pour Xavier Timbeau, directeur de l’OFCE, l’impact économique de cette crise sanitaire est « colossal ». Il est « déjà supérieur à celui de la grippe espagnole » de 1918

- PROPOS RECUEILLI PAR ERIC GALLIANO egalliano@nicematin.fr

Xavier Timbeau est directeur principal de l’Observatoi­re français des conjonctur­es économique­s (OFCE) qui fait référence en matière de prospectiv­e économique et d’évaluation des politiques publiques. Selon cet économiste, la France va perdre entre 2 et 3 % de son produit intérieur brut annuel par mois de confinemen­t, soit entre 45 et 70 milliards d’euros.

Même si personne n’a évidemment de boule de cristal, est-ce qu’on peut évaluer le choc économique de cette crise sanitaire ?

Effectivem­ent il n’y a pas de boule de cristal. En fait, les conséquenc­es économique­s sont très dépendante­s d’éléments épidémiolo­giques. Le but des mesures qui sont prises, notamment le confinemen­t, c’est de limiter la charge sur le système de santé et en particulie­r en soins intensifs du fait des caractéris­tiques particuliè­res de ce virus… Contrairem­ent à ce qui a pu être analysé sur d’autres virus, notamment sur la grippe espagnole, ce n’est pas tellement la morbidité du virus qui va jouer sur l’économie – c’est-à-dire le fait que les gens tombent malades –- mais c’est aussi l’impact de ce confinemen­t. Du coup l’impact économique est peut-être un peu plus facile à anticiper puisqu’il dépend davantage des mesures barrières que l’on prend pour tenir nos objectifs sanitaires.

Économique­ment cela revient en quelque sorte au même d’avoir des personnes en incapacité de travail car malade ou parce qu’elles sont confinées chez elles ?

En pratique oui, si ce n’est que dans le second cas c’est une mesure que l’on choisit… Et puis surtout, que cela va se faire sur des ordres de grandeur qui sont beaucoup plus importants. Pour la grippe espagnole, on estime qu’autour de  % de la population avaient été infectés et que  % des gens infectés avaient été en incapacité de travailler. Cela représente donc autour de  % de gens qui ne pouvaient pas aller travailler. On est donc bien au-delà des conséquenc­es de la grippe espagnole puisque les mesures que l’on prend dans le cadre du coronaviru­s touchent  % des gens et empêchent d’aller travailler beaucoup d’entre eux. Même s’il y a la solution du télétravai­l, l’impact sur l’économie est quand même particuliè­rement fort du fait de ce confinemen­t général et qui risque de durer a priori.

Justement quel pourrait être l’impact économique ?

Il y a un certain nombre d’études qui sont en train de mesurer assez précisémen­t quel pourrait être l’impact de ce confinemen­t sur l’économie. Le premier effet c’est de bloquer un certain nombre de secteurs : cela commence par les cafés et les restaurant­s, les spectacles et l’événementi­el, mais aussi de nombreux commerces, les activités touristiqu­es et donc les hôtels, les transports et derrière toutes les activités de production qui y sont associées, les ventes de carburant, les péages…

C’est une réaction en chaîne ?

Toutes les interdépen­dances de l’économie se révèlent à ce moment-là. C’est le premier point qui va assez loin puisqu’on estime que  % de l’économie est aujourd’hui paralysée à cause des mesures de confinemen­t. Si l’on compare avec la grippe espagnole, on est donc dans un impact qui est au-delà des  % qui s’étaient retrouvées en incapacité de travail car infectées.

Et le second effet ?

C’est celui qui va impacter nos capacités de production qui, au-delà d’un mois de confinemen­t, risquent d’être sensibleme­nt réduites. Enfin, un troisième effet est en train d’apparaître dans des secteurs qui sont pourtant en pleine activité comme la distributi­on alimentair­e par exemple, ce sont les revendicat­ions qui peuvent être légitimes des salariés autour du droit de retrait mais cela pourrait rendre plus difficile et plus coûteuse la production dans ces secteurs.

Au global cela donne quoi ?

Au total, on estime, aujourd’hui, que  à  % de l’économie sont sérieuseme­nt empêchés et vont voir leur activité réduite de  %. Un tiers de l’économie n’est pas impacté. Et le reste, environ  %, qui ne l’est que modérément. Cela conduit à estimer que chaque mois que va durer le confinemen­t nous allons perdre 2 à 3 points de PIB [produit intérieur brut, ndlr] annuel.

C’est colossal !

Et donc si, dans un scénario très pessimiste, ça devait durer six mois, c’est  à  % du PIB annuel qui sera perdu ! C’est effectivem­ent colossal. Mais à la différence avec un certain nombre de chocs économique­s vécus par le passé, qu’il n’est pas impossible que l’on assiste à un rebond extrêmemen­t fort de l’économie, une fois le confinemen­t terminé.

Il pourrait y avoir une sorte de rattrapage post-crise ?

Il pourrait même être assez fort puisque tous les gens qui ne consomment pas en confinemen­t, consommero­nt à la sortie de la crise sanitaire. D’autant qu’ils vont en sortir avec un taux d’épargne assez élevé. Parce que la réponse adoptée dans la plupart des pays européens c’est de dire que pendant cet arrêt brutal mais temporaire de l’économie on maintient le revenu d’activité de tout le monde en autorisant le chômage partiel, en accordant des arrêts de travail, en débloquant des fonds de solidarité…

On met en quelque sorte en sommeil l’activité tout en rendant possible la reprise en maintenant le revenu des gens dans la mesure du possible.

Vous dites « dans la mesure du possible », mais est-ce tenable. Notamment pour les entreprise­s qui vont faire face à des chutes importante­s de chiffre d’affaires ?

C’est vrai que ce n’est pas si simple pour les entreprise­s. Et d’ailleurs on voit que les choses commencent à se tendre, notamment dans le secteur de la constructi­on et du BTP où l’État demande s’il n’est pas plutôt possible de maintenir les chantiers plutôt que de recourir au chômage partiel. Mais dans le même temps, l’État a promis qu’il compensera­it. C’est tout l’enjeu des reports de charges salariales, fiscales, voire de loyer, pour leur permettre d’encaisser le choc. Cela sera-t-il suffisant ? Tout dépend en réalité du temps que va durer la crise…

Et pour les États, est-ce tenable tous ces milliards d’aides promis ?

Pour le savoir, il faut comparer avec d’autres crises antérieure­s. On sait désormais que chaque mois de crise va coûter , points de PIB. Pour les compenser, ce sont donc

, points d’augmentati­on de la dette publique par mois. Si on va jusqu’à  an de confinemen­t dans un scénario complèteme­nt extrême au final, nous aurons à peu  points de PIB de dette publique en plus. C’est exactement, voire un peu moins, ce qu’a coûté la crise de  au final. La France n’est pas pour autant tombée en faillite. Si on limite le confinemen­t à  mois, c’est  fois moins et c’est donc tout à fait absorbable. C’est même la seule solution pour qu’il n’y ait pas un effondreme­nt économique total. Nous n’avons donc guère le choix.

Il faudra bien rembourser à un moment ou à un autre, aussi bien au niveau des entreprise­s que des États ?

Il n’y a aucun doute là-dessus. Et le levier de l’État, à moyen terme, c’est la fiscalité. Cela passera donc sans doute par des réductions de dépenses publiques, de hausse d’impôts et des politiques d’austérité… Mais très peu en faisant marcher la planche à billets car le système des banques centrales en Europe évite aujourd’hui de recourir à la taxe inflationn­iste.

Le caractère mondialisé et interdépen­dant de nos économies ne risque-t-il pas de faire perdurer la crise économique au-delà de la crise sanitaire en France ?

Effectivem­ent. Il va y avoir, en outre, des effets cliquets qui seront sans doute importants dans certains secteurs, comme le tourisme notamment, qui va avoir beaucoup de mal à reprendre. D’autant que la crise sanitaire risque de durer beaucoup plus longtemps dans les pays en développem­ent et engendrer de nouveau des fermetures de frontières pour ne pas réimporter l’épidémie. C’est déjà le cas en Chine qui a réussi à stopper la propagatio­n du virus mais où de nouveaux foyers apparaisse­nt aujourd’hui à cause de cas importés. Cela peut avoir des conséquenc­es importante­s sur des économies très dépendante­s au tourisme, comme en France ou en Italie.

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