La vigilance endormie
La nouvelle n’a pas fait la une de nos journaux : le gouvernement suisse a demandé, hier, à tous les particuliers et entreprises qui ont des masques de protection de les apporter aux personnels de santé. Eh oui, la sage et précautionneuse Suisse, elle aussi, risqua de se trouver dépourvue quand l’épidémie fut venue… Cela nous dit quelque chose de la sous-estimation du péril épidémique dans la plupart des pays occidentaux. Comme si les grandes alertes – fausses alertes – des décennies passées (SRAS, Ebola, grippe HN, MERS…) avaient endormi la vigilance. Aurait-on pu faire plus, plus vite, autrement ? Admirons les prophètes qui prédisent le passé : ils ne se trompent jamais. Le temps des enquêtes viendra. Ce n’est pas l’heure. Gagnons d’abord la guerre. On fera les comptes après.
Nous n’aurons pas ici la cruauté de citer les scientifiques et médecins de renom qui, jusqu’à la fin février, n’ont eu de cesse de dénoncer la dramatisation médiatique (« beaucoup de bruit pour pas grand-chose ») et appelaient les politiques à ne pas sur-réagir devant l’émergence d’un virus « pas très grave » (sic) dont « on n’entendrait bientôt plus parler » (resic). Les mêmes, quelquefois, qui, aujourd’hui, accusent le gouvernement de passivité et d’impréparation.
« Je me suis assurée que tout était en place », déclarait Agnès Buzyn, le jour où elle quitta le ministère de la Santé.
Deux choses pourtant faisaient défaut, on devait bientôt le constater : le stock de masques nécessaires pour protéger les soignants et freiner la propagation du virus ; la capacité de tester massivement les cas suspects. Deux armes qui feront leurs preuves en Corée du Sud, à Taiwan, Singapour et Hongkong. Auraient-elles permis d’éviter la mise en confinement du pays ? Débat purement théorique. Car si la France ne s’est ni masquée, ni testée, ce n‘était pas par choix : elle n’avait ni les matériels nécessaires ni la capacité industrielle de les produire rapidement à grande échelle. Quand on n’a pas les moyens de sa stratégie, il faut bien avoir la stratégie de ses moyens. Ce fut : masques rationnés et tests au compte-goutte.
A qui la faute ? S’agissant des masques, des enquêtes de presse et les explications d’Olivier Véran ont permis de dénouer l’écheveau de décisions politico-technocratiques prises entre et , au nom de la « bonne gestion », qui ont abouti à disperser le stock de précaution constitué en . Au besoin, on les achèterait. En Chine…
Pour les tests, le président du Conseil scientifique Covid- l’a reconnu : nous ne disposions pas des réactifs nécessaires, importés des Etats-Unis et de Chine, « dont l’appareil de production est à l’arrêt ».
Tout est dit. Pour nous fournir le jour venu en masques et tests, nous comptions sur l’usine du monde. Sans imaginer que le feu pourrait partir de l’usine. Cela vaut pour la France comme pour la plupart des pays occidentaux, où la situation est comparable, parfois pire.
Légèreté ? Inconscience ? C’est notre Roselyne Bachelot, aujourd’hui portée aux nues – après avoir été moquée – pour sa gestion de la crise du HN qui explique le mieux pourquoi l’Occident en général et la France en particulier ont baissé la garde : « On s’est dit, les grandes épidémies, c’est pour les pays asiatiques, ou les pays en voie de développement. Ça ne nous concerne pas. »
Chez nous, elles appartenaient à un passé révolu, dont nous avions perdu la mémoire. Comment imaginer qu’avec nos hôpitaux high-tech, notre médecine de pointe, nous soyons à la merci d’un banal virus pulmonaire contre lequel la seule protection serait la quarantaine, comme au Moyen-Age, ou le port d’un masque de papier à trente centimes ?
« Comment imaginer qu’avec nos hôpitaux high-tech, notre médecine de pointe, nous soyons à la merci d’un banal virus pulmonaire. »