Monaco-Matin

A Wuhan, le Cannois Gaël Caron compte les jours

Le cameraman de France Télévision­s, bloqué dans la grande métropole depuis plus de deux mois, parle de son expérience du confinemen­t « à la chinoise » et de ses conditions de travail sur place. Témoignage...

- PROPOS RECUEILLIS PAR ÉRIC FAREL efarel@nicematin.fr

Voilà  jours très précisémen­t qu’avec son collègue Arnauld Miguet, Gaël Caron est confiné au sein de la ville fantôme de Wuhan. Les deux journalist­es, correspond­ants permanents de France Télévision­s en Chine, forment même la seule équipe d’un média étranger encore en place là où tout a commencé. Ils ont eu, à trois reprises, l’occasion de quitter cette région maudite. Ils ne l’ont pas fait. Par choix. Par profession­nalisme. Et s’ils ne le regrettent nullement, ni l’un ni l’autre, Gaël Caron, ancien cameraman de Cannes TV, compte aujourd’hui les jours qui le séparent de son retour chez lui, à Shanghai...

Comment avez-vous vécu cette longue période de confinemen­t ?

Franchemen­t, on a été très occupés tout le temps. Quand je pense à tout ce que l’on a fait pendant ces deux mois, j’ai

‘‘ l’impression que ça fait une éternité qu’on est ici, mais en même temps c’est passé très vite. Et, aujourd’hui, on voit le bout du tunnel. Depuis lundi, les règles se sont assouplies, une personne par foyer a le droit de sortir pour faire des courses. Pour la première fois, on sait quand ça va s’arrêter : après avoir été coupée du monde, la ville va rouvrir le  avril et les autorités ont l’air de se tenir à cette date. Dès le  mars, les habitants de la province du Hubei pourront regagner leur lieu de travail et revenir à Wuhan. Cela fait un moment que les chiffres [des décès et des infectés, ndlr] descendent alors qu’ailleurs dans le monde, ils montent. Cela montre que les mesures prises ont été efficaces et ça motive.

Qu’est-ce qui a été le plus dur à vivre pour vous ?

Sans doute le fait de ne pas être à la maison, mais encore une fois on n’a pas vraiment eu le temps de trop y penser et donc, de trop en souffrir. On avait vraiment la tête au boulot.

Précisémen­t, vous avez pu travailler librement, même au tout début de la crise ?

On a pu faire exactement tout ce que l’on voulait. Y compris à l’intérieur du plus grand hôpital de Wuhan. En fait, le seul moment où l’on a été un peu embêtés, c’est lors de la venue du Président Xi Jinping, il y a deux semaines. Nos conditions de travail se sont durcies quelques jours avant sa visite. Tout le monde était très tendu. Il fallait des autorisati­ons spéciales pour tout, mais personne ne savait nous dire où les réclamer. Ensuite, les choses sont redevenues normales.

Vous n’avez jamais eu à vous heurter à la censure ?

La censure, c’est pour les médias chinois. Pas pour la presse étrangère. Et quand, parfois, la police nous empêche de travailler, c’est toujours gentiment, jamais dans la violence. Honnêtemen­t, nous n’avons pas été ennuyés. Lorsque les opérations de désinfecti­on ont débuté dans les rues, on nous a juste dit de faire attention, de ne pas nous approcher trop près. Mais quand nous sommes rentrés à l’hôtel, les gens ont un peu paniqué car ils avaient appris que nous étions allés près du marché, d’où est partie la crise. Les médecins ont eu peur que nous soyons contaminés.

Vous ne l’avez pas été ?

Non. Je suis toujours « négatif ». Dans l’hôtel d’ailleurs, il n’y a aucun malade.

Quelles sont vos conditions d’hébergemen­t ?

Nous logeons en plein centre-ville, dans un hôtel dont nous étions, jusqu’en février, les seuls clients. Ensuite, nous avons été rejoints par une cinquantai­ne de personnes – du personnel médical venu en renfort d’une autre province – qui sont parties la semaine dernière. Et hier, ce sont des clients de la province qui sont arrivés. Nous sommes tous séparés : on ne fréquente pas le même étage ni les mêmes endroits pour manger.

Vous prenez vos repas à l’hôtel ?

Oui. Le menu est assez limité : beaucoup de pâtes, de la salade verte, des hamburgers.

On est en Chine et on ne mange même pas chinois [rires].

Et vos conditions de déplacemen­t à travers la ville ?

C’est sans doute le plus compliqué parce que le gouverneme­nt a réquisitio­nné beaucoup de taxis. Mais pas mal de chauffeurs, qui n’avaient pas grand-chose à faire, ont accepté de travailler pour nous. Seul bémol : ça coûte cher.

Vous avez confiance dans les chiffres qui sont communiqué­s par le gouverneme­nt chinois quant au nombre de victimes ?

C’est difficile à dire. Il s’agit des chiffres officiels. Comment vérifier ? En France, beaucoup de gens ne sont pas testés. C’est sans doute pareil en Chine et ailleurs. Mais j’ai plutôt confiance dans la tendance. Les mesures sont drastiques et la discipline des Chinois est exemplaire. Ici, la police n’est pas postée à tous les coins de rue et les gens n’ont pas besoin d’un papier. Si on leur dit de ne pas sortir, ils ne sortent pas. Ils ont vécu l’expérience du SRAS et ils sont beaucoup moins rebelles.

Il se dit que la crainte d’une nouvelle épidémie tarauderai­t les autorités chinoises...

Concernant les cas « importés », les étudiants, par exemple, qui reviennent d’Europe et qui ont été testés « positifs », ils doivent passer par une quarantain­e obligatoir­e de quatorze jours dans des villes où sont mises en place des structures d’accueil, avant de regagner Pékin ou Shanghai. Ce qui fait peur ici, ce sont les cas de rechute, mais les médecins disent que c’est extrêmemen­t rare.

Les médecins chinois ne croient pas à l’immunité des malades une fois guéris ?

Ce que disent les experts, c’est que dans certaines régions, des malades seraient sortis de l’hôpital alors qu’ils étaient toujours porteurs du virus.

Plus que de rechute, c’est de cela dont il est question.

Que pensez-vous des mesures qui ont été prises en France ?

J’ai été un peu halluciné de voir qu’après le discours de Macron demandant aux gens de rester chez eux, certains n’en tenaient pas compte. Je pense que les Français n’ont pas conscience de ce qui leur arrive dessus et qu’avec la distance, ils ne se sentent pas concernés. Pourtant, il n’y a pas  solutions : il faut rester chez soi, limiter les brassages, les contacts humains. C’est ce qui fonctionne le mieux. En France, on a rappelé les soignants à la retraite. En Chine, c’est exactement l’inverse qui s’est produit : tous ceux qui avaient - ans ont été renvoyés chez eux.Etpuis,ilyales masques. On dit qu’ils ne servent à rien, mais ici ils sont obligatoir­es. D’ailleurs, dans les pays qui ont connu le SRAS comme Singapour ou la Corée, tout le monde porte un masque.

On est en Chine et on ne mange même pas chinois.”

Les conséquenc­es économique­s en Chine ?

D’après les officiels, cinq millions de personnes auraient perdu leur emploi, sans parler des petites entreprise­s, innombrabl­es dans ce pays. Le gouverneme­nt a prévu des aides mais on verra comment cela va se traduire. Il ne faut pas se voiler la face : ici, comme en France, ça va être très dur.

‘‘

Les Français n’ont pas conscience de ce qui leur arrive dessus.”

Votre souhait dans l’immédiat ?

J’ai hâte de reprendre une vie normale et de rentrer à Shanghai. Voir des têtes différente­s, faire du shopping... Wuhan sera rouverte le  avril, mais on ne sait toujours pas comment ça va se passer, si les transports seront rétablis, s’il y aura une quarantain­e. Tout cela est encore un peu flou. Une chose est sûre : ça va être la cohue.

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(DR) Gaël Caron s’est fait au moins un ami sur place : le chat Mimi.

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