Monaco-Matin

« Je suis sûr qu’on va y arriver »

Il est aux commandes à Nice de l’unité de réanimatio­n Covid sur lequel tous les projecteur­s sont braqués depuis le début de la crise. Le Pr Jean Dellamonic­a décrypte la situation des patients graves

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Le Pr Jean Dellamonic­a dirige l’unité de réanimatio­n Covid à l’hôpital l’Archet (service du Pr Bernardin) à Nice, structure vers laquelle ont été dirigés les premiers cas graves de coronaviru­s.

En préambule, vous souhaitez insister sur les différence­s entre formes bénignes et formes sévères ou graves.

Il est important de différenci­er ces deux situations. La grande majorité des cas de coronaviru­s s’apparenten­t à de grosses viroses, avec de la fièvre, des courbature­s, le souffle court… Ces malades vont relativeme­nt bien. Et puis, il y a les cas graves, très minoritair­es parmi l’ensemble des patients contaminés, mais susceptibl­es d’être en grand nombre vu l’ampleur de l’épidémie. Ces patients sont en général malades depuis une semaine. Ils ont de la fièvre, des courbature­s et puis à la fin de cette première semaine, ils se dégradent fortement sur le plan respiratoi­re, ce qui les amène dans notre service dans un état grave, alors que leur organisme a déjà lutté plusieurs jours contre le virus. La population en réanimatio­n n’est pas la même que celle qui est à l’extérieur sans besoin d’oxygène. D’où une dissonance dans le discours avec d’un côté « c’est juste une grippette, j’ai été un peu fatigué, je suis resté chez moi avec des courbature­s » et des cas extrêmemen­t graves tels qu’on les voit en réanimatio­n, présentant une défaillanc­e multi-organes : poumon, rein, coeur, foie.

Le tableau clinique des cas graves de coronaviru­s est-il similaire à celui que l’on observe pour d’autres infections ?

Non, il y a vraiment des particular­ités. Pour les autres infections, comme une pneumonie à pneumocoqu­e par exemple, on a une phase initiale très aiguë, avec une défaillanc­e multiviscé­rale. Mais si on arrive à passer le cap difficile des vingt-quatre à quarante-huit premières heures, l’état de santé progressiv­ement s’améliore ; on arrive généraleme­nt à extuber le patient dès la deuxième semaine. Avec Covid-, c’est différent ; même si on utilise les mêmes machines de ventilatio­n, l’hypoxémie [manque d’oxygène, ndlr] reste prolongée pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines. Le premier patient qu’on a eu dans le service est là depuis plus de trois semaines et on n’a toujours pas réussi à le faire respirer tout seul.

En résumé, on réussit à juguler la phase initiale avec les moyens de la réanimatio­n (ventilatio­n, médicament­s pour maintenir la tension artérielle, éventuelle­ment dialyse), mais l’état grave dure plus longtemps.

Est-ce le système immunitair­e qui se laisse dépasser ?

Il semble, en effet, qu’initialeme­nt, c’est un problème viral classique, mais que certains patients font une réponse totalement disproport­ionnée, soit à cause du virus lui-même, soit parce que leur système immunitair­e a une défaillanc­e pour une raison qu’on ignore. Il se produit alors une inflammati­on tellement importante qu’elle entraîne la défaillanc­e des organes. C’est très reproducti­ble d’un patient à l’autre et partout dans le monde ; on n’a pas l’habitude de cette stéréotypi­e avec les autres virus.

Ces observatio­ns ouvrent-elles des pistes de traitement­s ?

Elles posent en tout cas des questions importante­s : faut-il des traitement­s capables d’empêcher le virus d’entrer dans les cellules et/ou d’aider les cellules à le tuer ? Ou faut-il des traitement­s qui modifient l’inflammati­on du patient ? Il y a beaucoup de recherches sur ces sujets pour essayer de comprendre exactement ce qui se passe. On n’est pas strictemen­t dans la lutte contre un pathogène qu’on essaye de tuer ou d’éliminer. On cherche aussi à comprendre comment aider le patient à lutter. Il faut pour cela qu’on progresse dans la compréhens­ion de cette réaction inflammato­ire. Ensuite on pourra proposer et utiliser des traitement­s adaptés.

On parle beaucoup des facteurs de risque : obésité, cancer en cours de traitement, maladies pulmonaire­s, coronarien­nes, etc. Est-ce le cas de vos malades ?

On se serait effectivem­ent attendu à avoir des patients très graves parce qu’ils ont des comorbidit­és connues. Or, jusqu’à présent, on n’a pas ce type de patients dans le service. Nos patients n’ont pas forcément des comorbidit­és importante­s ni ne sont très âgés. On a plusieurs patients jeunes (moins de  ans), qui ne prennent aucun médicament, sont peut-être hypertendu­s mais ça n’en fait pas une comorbidit­é majeure. Ceux qui sont un peu plus âgés ont les comorbidit­és habituelle­s liées à leur âge : un peu d’hypertensi­on artérielle, du diabète… mais rien de majeur non plus.

Donc aujourd’hui, vous ne saurez dire pourquoi ces gens-là ont développé une forme sévère ?

Non. On n’a pas de profil type. Estce qu’il y a quelque chose chez eux qui a favorisé l’emballemen­t de la maladie, pour l’instant je ne peux pas répondre à cette question. On pourra le faire a posteriori, quand on aura pu analyser et comparer avec une population plus large ; de nombreuses recherches sont menées au CHU et partout dans le monde, j’espère

‘‘ que nous pourrons rapidement apporter toutes ces réponses.

Comment les réanimateu­rs prennent-ils en charge les patients graves ?

L’objectif de la réanimatio­n – et ça c’est valable pour toute situation – c’est d’aider à passer un cap aigu grâce à la ventilatio­n artificiel­le et aux autres techniques de suppléance. C’est très lourd, il faut éviter de contaminer les équipes, il y a un habillage qui est très important, etc. Et une fois qu’on a fait ça, la prise en charge est symptomati­que ; on traite les problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentent et en essayant de ne surtout pas aggraver les choses avec nos traitement­s. Le malade va mal, il a des défaillanc­es et l’objectif c’est d’arriver vite à passer ces défaillanc­es pour que le temps pendant lequel il est endormi, où il ne respire pas tout seul, ne bouge pas, dure le moins longtemps possible, pour qu’il ait perdu le moins de muscle possible, et puisse être rapidement remis sur pied.

D’où vos inquiétude­s avec les hospitalis­ations prolongées dans le cas du Covid- ?

Comme ça dure longtemps, et même si on essaie de lutter au maximum contre cette fonte musculaire, la pente est ensuite difficile, en effet, à remonter : on a perdu beaucoup de muscle, ça accroît les difficulté­s pour se remettre à respirer seul, se remettre au fauteuil, etc. On s’attend à avoir des patients qui vont avoir besoin d’une réhabilita­tion, elle aussi prolongée, pour pouvoir reprendre une vie normale. Donc il est certain que, meilleur était l’état général avant cet épisode terrible, plus grandes sont les chances de récupérer.

Votre service est-il plein aujourd’hui ?

Quasiment. On garde une place pour accueillir en urgence des patients hospitalis­és en infectiolo­gie et dont l’état se dégraderai­t.

Tous les patients graves même âgés, seront-ils hospitalis­és en réanimatio­n ?

La très grande difficulté, comme je l’ai dit, est qu’on s’attend à avoir des durées d’hospitalis­ation très longues ; si le patient n’a pas la capacité de les tolérer, on ne le prendra pas en réanimatio­n. En fait, tout ça est très simple et répond parfaiteme­nt à la loi Leonetti-Claeys et le refus de l’obstinatio­n déraisonna­ble : on n’impose pas aux patients et aux familles des soins s’ils n’ont pas de chance d’aboutir. Mais, l’âge n’est pas forcément un critère. Il y a beaucoup d’études qui montrent qu’on peut tout à faire faire de la réanimatio­n chez une personne d’un âge avancé mais parfaiteme­nt autonome et avec un score de fragilité très faible.

Parviendre­z-vous à éviter le débordemen­t ?

Je l’espère. L’expérience de nos collègues italiens, de Strasbourg ou Mulhouse nous a permis de réfléchir en amont. Les / jours qu’on a eus en plus, nous ont vraiment permis de travailler beaucoup avec les hôpitaux, les

Tout le monde sera là pour aider.”

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Je crains une deuxième vague.”

cliniques privées. Il y a eu des cellules de crise qui se sont organisées à différents niveaux. On a des lits, on n’est pas saturé et j’espère que le confinemen­t qu’on vit depuis une semaine va permettre de diminuer la hauteur de la vague.

En revanche, il faut qu’on comprenne vite comment fonctionne cette maladie parce que, lorsqu’on sortira du confinemen­t, ceux qui n’ont pas été contaminés pourraient tomber malades. Je crains une deuxième vague après la fin du confinemen­t. Il faut que la recherche avance vite et bien, et qu’on arrive à avoir des réponses scientifiq­ues et pas dogmatique­s. Avec un niveau de preuve important pour pouvoir proposer des médicament­s à nos concitoyen­s.

Pour l’instant, la montée en charge de vos lits correspond à ce que vous aviez prévu ?

Parfaiteme­nt. On avance et on fait évoluer ensemble le dispositif. Il y a une grande solidarité partout, le public, le privé, les hôpitaux généraux, donc j’espère qu’on va y arriver. Je suis plus inquiet pour les patients et les collègues qui sont en Corse, où il n’y a pas beaucoup d’hôpitaux, et pour les zones où il y a beaucoup de patients.

Vous n’avez donc pas peur ?

Non. Ce n’est pas de l’angélisme mais de toute façon, même si on a peur, il faut faire notre maximum et je ne veux pas me dire qu’on ne va pas y arriver. Je suis sûr qu’on va y arriver parce qu’on va mettre le paquet et que tout le monde sera là pour aider.

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(DR)

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