Monaco-Matin

« Au front, sans arme » : le coup de gueule d’un médecin de Saint-Raphaël

- N. PASCAL npascal@nicematin.fr

Ce n’est certaineme­nt pas ainsi qu’il envisageai­t son avenir profession­nel quand, il y a quelques années, Vincent Fabri recevait avec fierté son diplôme de médecin. Exerçant aujourd’hui dans sa ville natale, SaintRapha­ël, d’abord comme docteur remplaçant puis collaborat­eur, ce généralist­e de 29 ans est confronté à une dure réalité. Extrêmemen­t motivé et passionné par sa profession comme on peut l’être à l’orée d’une carrière, le docteur Fabri a vite déchanté.

« Je pourrais être porteur sain et donc contagieux »

« Au début de l’épidémie, fin janvier, je ne disposais que de deux masques FFP2, et je n’ai reçu qu’une boîte de 50 masques chirurgica­ux – donc inefficace­s – le 11 mars. La durée de vie d’un masque étant de 2 à 3 heures, et effectuant des semaines de 60 heures, je vous laisse faire le calcul », assure le jeune homme, d’un ton calme et souriant, mais bien déterminé à taper du poing sur la table.

« Démuni », « envoyé au front sans protection »,« un soldat sans arme » : voilà ce qu’il déplore, « pas seulement pour moi, mais pour tous mes collègues, médecins de ville ou infirmière­s, nous sommes dans le même bateau, insiste-t-il, assis à son cabinet. Est-ce bien normal ? Je m’étonne de l’équipement quasi-nul dont je dispose. L’OMS recommande le port de lunettes, de masques FFP2, de surblouses et de tests pour “traquer” le coronaviru­s chez tout le monde, en particulie­r les porteurs sains ». Mais voilà : parce qu’il ne veut ni ne peut baisser les bras, et qu’il s’honore à continuer sa profession malgré ses conditions, Vincent Fabri consulte encore et toujours. À son cabinet, et à domicile. « Je prends le minimum de risques avec les fameux gestes barrières. De plus, tous les soirs quand je rentre chez moi, je mets tous mes vêtements à laver à 60°C. N’importe quel patient peut me transmettr­e le virus sans que je ne puisse rien y faire. Ou à mon tour, je pourrais très bien être porteur sain et transmettr­e moi-même ce virus aux patients. C’est fou d’exercer son métier dans des conditions pareilles... » Quand on lui parle de téléconsul­tation, le jeune docteur affiche un petit rictus. « Tout n’est pas numérique. Rien que sur une journée, j’ai dû effectuer trois visites : une patiente de 105 ans, une pneumopath­ie d’inhalation chez une autre patiente, de 96 ans, et une ischémie aiguë du membre associé à une lymphangit­e chez un patient Alzheimer de 93 ans. Comment voulez-vous prendre en charge une fin de vie derrière une webcam ? » Révolté mais profession­nel avant tout, Vincent Fabri ira encore demain écouter les uns, soigner les autres. « Combien, depuis quelques semaines, ai-je détecté de patients potentiell­ement atteints par le Covid-19 ? Je dirais six, je pense. Aucun n’avait de symptômes graves, heureuseme­nt, mais ils sont forcément contagieux. Comment le savoir sans pouvoir effectuer de test ? Je stresse en permanence et culpabilis­e à l’idée de propager ou de faire propager involontai­rement ce virus... » De plus, le jeune homme déplore de recevoir des emails et coups de téléphone de la part de la CPAM du Var afin de se rendre chez des personnes qui ne font partie ni de sa patientèle, ni de celle du cabinet dans lequel il est collaborat­eur, et qui présentera­ient des symptômes compatible­s avec le coronaviru­s. « Cela fait trois fois en trois jours déjà », avoue-t-il.

 jours de carence

En attendant une future livraison de masques promise par le gouverneme­nt, le médecin se refuse à ralentir ou arrêter momentaném­ent son métier. « La mise en arrêt maladie m’est impossible, d’une part vis-àvis de mes patients qui comptent sur moi, et d’autre part à cause de ce système de 90 jours de carence chez les médecins libéraux... » Le jeune homme conclut son ras-le-bol d’un ton sec : « Ne soyez pas surpris si je finis par refuser d’aller en visite alors que je peux constituer un danger pour les patients et pour moi-même. Ne soyez pas non plus étonnés qu’il n’y ait plus de jeunes généralist­es qui décident d’exercer en libéral... »

 ??  ?? Ne pouvant que très rarement procéder à la téléconsul­tation, ce jeune docteur, sans masque ni blouse, déplore la gestion de la crise et craint pour lui et son entourage. (Photos Philippe Arnassan)
Ne pouvant que très rarement procéder à la téléconsul­tation, ce jeune docteur, sans masque ni blouse, déplore la gestion de la crise et craint pour lui et son entourage. (Photos Philippe Arnassan)

Newspapers in French

Newspapers from Monaco