« Rentrez chez vous, c’est une crise d’angoisse »
Souffrances, angoisse, médecins, urgences, 15... Une Niçoise de 44 ans, contaminée par le cornavirus, raconte son parcours du combattant pour obtenir un diagnostic
Elle écrit depuis son lit. Corps perclus de douleurs, muscles rompus, respiration en suspens... Contaminée par le Covid-19, cette professeure d’un collège niçois, qui tient à garder l’anonymat, a attendu 6 jours avant que les médecins posent un nom sur ses maux : coronavirus.
« Je vis avec le virus depuis un moment déjà. Je cohabite avec lui en essayant de donner un maximum de repos à mon corps afin qu’il se débarrasse de cet hôte indésirable. La maladie est violente, et je me sens d’une faiblesse extrême. Un jour, on va mieux, et puis le lendemain, le corps nous rappelle que la maladie est longue. Je m’imagine que nous sommes des dizaines, peut-être des centaines, à vivre ainsi, dans nos confinements respectifs, dans l’attente et face à l’inconnu », consigne-t-elle dans son « journal de la maladie ». Elle écrit car elle n’a pas «la force de parler ». Elle écrit comme on alerte.
Les symptômes
« Mes premiers symptômes importants sont apparus lundi 16 mars. Cependant, je me sentais déjà souffrante, toux, mal de tête, gêne pulmonaire, depuis la semaine précédente. Le jeudi 12, j’étais allée consulter ma généraliste, qui a pensé que j’avais peut-être quelque chose, mais probablement pas le virus. Elle m’a proposé de vérifier en faisant une radio des poumons. Je lui ai demandé si je ne pouvais pas être testée plus tôt. Elle m’a répondu que c’était impossible et que, même elle, ne pouvait pas être testée. Enseignante, je suis au contact de nombreux élèves. Il me semblait primordial de savoir… » Elle ressort « avec une ordonnance pour une radio » mais sans arrêt de travail. Le soir même, le président de la République annonce la fermeture des écoles le lundi suivant. Elle est de plus en plus affaiblie…
« Du vendredi 13 au lundi 16, je me suis sentie très fatiguée, j’ai souffert de maux de tête, de toux… mais pas de signes inquiétants. J’appelle pour la radio des poumons. On me donne un rendez-vous à la clinique Saint-Georges, à Nice, pour le lundi suivant. Attendre sans savoir pendant une semaine, ne me rassure pas. »
Le malaise
Et, puis, elle fait un malaise. 16 mars : «Jemesenstrès mal, perte d’équilibre, douleur thoracique très vive. J’appelle le 15. Poumons qui brûlent, oppression thoracique, sensation d’étouffement. Toux. Mais pas de fièvre. On me passe un médecin qui me dit que je ne suis pas en détresse respiratoire puisque je parle. Je n’ai pas de fièvre, donc il faut que je me rassure. Je leur dis que je dois faire une radio des poumons, on me dit que c’est très bien et qu’ils verront bien si c’est un Covid ou pas. Je raccroche. Mon conjoint rappelle le cabinet de radiologie et, miracle, on me trouve un rendez-vous pour le lendemain à 16 heures à Lenval. »
Elle continue à se sentir mal. » Dans la nuit, de nouveau malaise, vertiges, frissons, je n’en peux plus, et, très inquiète, je rappelle le 15 vers 3 heures du matin. Toujours pas de fièvre ni de détresse respiratoire. » Elle insiste, le médecin finit par lui conseiller d’aller aux urgences.
● « Rentrez chez vous
Elle s’y rend seule, laissant ses enfants à son mari… «Je suis reçue par deux soignants qui, après avoir pris ma température et ma tension, me disent que je fais probablement une crise d’angoisse, que je ne suis pas la seule à me sentir mal à cause du confinement, que je suis là, debout, devant eux, sans fièvre, c’est que je vais bien. On me dit de rentrer chez moi. Les personnes qui m’accueillent sont douces et prévenantes. »
● Les douleurs s’accentuent
La nuit suivante, les symptômes s’accélèrent. Mardi18: « Je n’ai quasiment pas dormi. Les douleurs pulmonaires, les vertiges et la toux s’accentuent. J’ai mal au ventre, n’arrive plus à manger. »
Elle tient. Espère que la radio des poumons l’aidera à comprendre. Mais peu avant l’heure prévue, on lui indique que le rendez-vous a été annulé « en raison du plan blanc ».
Elle essaie d’expliquer. Dit « que justement c’est pour une suspicion de Covid. On me répond que je ne serai pas reçue. Je m’effondre en décrivant mon état de délabrement physique et mon sentiment d’abandon. La personne du service radiologie me conseille d’appeler SOS médecins. »
Le diagnostic
SOS médecins arrive chez elle à 18 heures.
« Le médecin me demande de le recevoir dans la pièce la plus grande et la plus aérée de la maison. Il m’examine et reconnaît les symptômes du Covid, mais m’indique qu’il ne peut y avoir de certitude absolue puisqu’on ne fait plus de test. Nous venons de passer en phase 3. On ne teste que les cas graves. »
Le mot « coronavirus » est prononcé. Soulagement.
« Je suis enfin diagnostiquée après toute cette errance ! Je vais être soignée, et non plus livrée à moi-même comme j’avais eu l’impression de l’être pendant toutes ces journées ».
Toute la famille est confinée pour 20 jours. Le médecin leur annonce qu’ils seront tous contaminés.
« Personne ne sera testé. Pour moi Doliprane et azithromycine. La chloroquine fonctionne mais pas encore prescrite malgré son efficacité apparente, m’explique le docteur.
« Il est professionnel, rassurant. Il pense qu’il est inutile que je me confine dans une chambre, que nous serons forcément tous contaminés. »
● Une semaine après
« Je suis depuis mardi sous traitement, sans avoir été testée. La maladie me fatigue énormément, je me sens parfois très mal, suis incapable du moindre effort. J’aurais aimé avoir l’impression de moins patauger pendant ce début de maladie. (...) Aujourd’hui, je me dis que l’heure n’est pas à la polémique mais qu’il conviendra à un moment donné de s’interroger sur la manière dont on a fait les choses. Ce désastre sanitaire était annoncé, à Nice plus qu’ailleurs, nous avons constamment un oeil vers l’Italie, et nous ne pouvions ignorer ce qui immanquablement était là. Le virus n’a pas de frontières, et nous le savions. »