« La médecine a un principe, avant tout ne pas nuire »
Ancien président de Médecins sans frontières, invite à respecter les protocoles concernant la chloroquine. Il salue par ailleurs la façon dont les Français se plient au confinement
Il est un humaniste, qui s’efforce de mettre un peu de recul au coeur de l’urgence. Secrétaire d’Etat aux Droits de l’homme de 1986 à 1988, aujourd’hui sénateur à la tête du groupe Les Indépendants – République et Territoires au palais du Luxembourg, Claude Malhuret a également présidé Médecins sans frontières de 1978 à 1986, puis cofondé le site Doctissimo en 1999. A la fin des années soixante-dix, médecin épidémiologiste pour l’Organisation mondiale de la santé, il a fait partie des équipes qui ont éradiqué la variole en Inde. Il pose son regard tout en mesure sur la crise actuelle.
La stratégie du gouvernement face au virus est-elle la bonne ?
Elle est la traduction politique des recommandations du conseil scientifique, qui est composé de spécialistes, épidémiologistes et virologues notamment. Je pense que ce sont les mieux placés pour définir la stratégie, avec quelques adaptations en fonction de ce qui est acceptable socialement. Le confinement est nécessaire et je suis très favorablement étonné de la manière dont les recommandations sont suivies, et de plus en plus, chaque jour. Les Français, réputés rebelles et indisciplinés, respectent d’une façon qu’on n’imaginait pas les consignes de sécurité.
A droite, Eric Ciotti tire toutefois à boulets rouges sur l’exécutif, qu’il accuse de ne prendre que des « demi-mesures »…
Il y aura toujours des gens dans l’opposition, de droite comme de gauche, qui trouveront qu’on n’en fait pas assez. Et, à l’inverse, d’autres qui estimeront qu’on en fait trop. L’extrême gauche hurle à l’atteinte aux libertés en jugeant que l’état d’urgence sanitaire est pire que l’article , ce que je trouve honteux. De l’autre côté, l’extrême droite dit qu’on n’en fait pas assez et qu’on a fermé les frontières trop tard. Je ne signifie pas que Ciotti est d’extrême droite, mais je ne suis pas sûr que la droite républicaine soit très avisée de suivre ces traces-là.
Pour vous, les mesures liées à l’Etat d’urgence sanitaire sont équilibrées, y compris du point de vue démocratique ?
Ces mesures sont importantes et elles donnent à l’exécutif une marge de manoeuvre très forte, sans aller au-delà de l’article . Mais elles sont nécessaires. L’essentiel, dans une démocratie, est que ces mesures restent sous le contrôle du Parlement : c’est le cas avec une poursuite de l’activité de l’Assemblée et du Sénat, qui auront toutes les semaines des sessions de contrôle et de questions au gouvernement. Je crois que nous avons trouvé la bonne solution : plus de pouvoir pour l’exécutif et plus de vigilance pour le Parlement.
Faut-il que tout le monde porte un masque en toutes circonstances désormais ?
Les autorités sanitaires disent que ce n’est pas la peine. Je ne vois donc pas de quel droit, moi ou a fortiori d’autres politiques qui ne sont pas médecins, pourraient dire cela. Je pense que le port du masque est normal pour les soignants, qu’on peut aussi le recommander pour ceux qui travaillent dans un espace confiné. En revanche, à l’air libre, dans les rues, il ne me paraît pas du tout s’imposer.
Votre avis sur la chloroquine. Faut-il foncer ou être prudent ?
En médecine, on a un principe qui s’appelle Primum non nocere, avant tout ne pas nuire. C’est la raison pour laquelle la mise en service d’une molécule n’est jamais recommandée avant qu’on soit absolument certain à la fois de son efficacité et de son innocuité. On est en train d’accélérer considérablement les procédures pour tester des médicaments nouveaux, comme on l’a fait à une époque pour le sida. Mais l’accélération des procédures ne veut pas dire qu’un essai sur vingt-quatre malades, dont six sont sortis du protocole au bout de quelques jours, sans double aveugle, sans placebo, permette de recommander cela à tout le monde. Les scientifiques ont jugé cet essai intéressant, ils ont hâté les protocoles thérapeutiques pour faire en sorte d’avoir des réponses sous quinze jours et, s’il s’avère que les résultats sont bien ceux espérés, on raccourcira les délais. Mais je suis étonné que des gens qui ne sont pas médecins demandent au gouvernement d’accélérer sur la chloroquine. Ce n’est pas au gouvernement de décider de son utilisation, mais aux autorités scientifiques, qui ont bien intégré la nécessité d’aller vite. Il ne faut pas pour autant s’exposer à des accidents en utilisant des molécules qui n’ont eu un effet que sur dix-huit malades, ce qui ne constitue en rien une preuve d’efficacité.
Peut-on tirer des enseignements de votre expérience d’éradication de la variole à la fin des années soixante-dix, ou est-ce trop éloigné et trop différent ?
On en a tiré des enseignements pour gérer le Sras, le virus Ebola, la grippe HN, etc. Toutes ces étapes ont permis de tirer des conclusions sur le confinement. Quand, en Inde, il y avait des suspicions de variole, l’armée bloquait un cercle de km de rayon autour du cas détecté. Personne n’avait le droit d’entrer ni de sortir de ce périmètre, tant que l’intégralité de la population n’avait pas été vaccinée, ce qui représentait des centaines de milliers de personnes. Cette solution a fonctionné, mais elle était pour les populations concernées d’une radicalité extrême. Depuis, on a adapté les solutions car les virus tuent moins : la variole était cent fois plus dangereuse que le coronavirus. Pendant des siècles, elle a tué des millions de personnes par an dans le monde.
Jusqu’où peut-on aller dans la médecine à distance ?
On assiste à une évolution. La médecine à distance était vue avec vigilance, au minimum, par les médecins. Pour la raison tout à fait légitime d’ailleurs que l’examen d’un patient, ce n’est pas seulement discuter avec lui, mais aussi un certain nombre de gestes cliniques. Un médecin est toujours mal à l’aise pour établir un diagnostic sans ausculter ni toucher. Il n’en reste pas moins que cela va lentement se généraliser, puisque la médecine sera de plus en plus faite d’algorithmes ayant des capacités de décision supérieures à celles d’un être humain. Dans le cas présent, les visio-consultations sont utiles pour ne pas engorger cabinets et hôpitaux. Quand on l’appelle, le Samu fait déjà de la médecine à distance pour trier les patients. C’est comme pour la chloroquine, la médecine à distance doit se développer mais pas trop vite, en respectant la sécurité des patients.
Vous avez parlé jeudi dernier « d’infodémie ». Médias et réseaux sociaux concourent-ils à affoler outre mesure ?
Nassim Nicholas Taleb a écrit un bouquin qui s’appelle Le cygne noir. Il y explique que de temps à autre, un événement inattendu fait chuter la bourse et devient catastrophique parce que la panique s’entretient d’autant plus aisément que les réseaux de communication sont puissants. Mais il estime qu’il y a des exceptions à cette règle et des situations où la panique est bienvenue. En l’occurrence, il a indiqué dans un entretien qu’il pensait que nous étions dans un cas où il valait mieux que les gens aient peur pour respecter le confinement. S’il a raison, la panique n’est pas forcément mauvaise conseillère.
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Dix-huit cas ne constituent pas une preuve d’efficacité”
Vous êtes plutôt optimiste pour la reprise économique, le moment venu…
Je pense qu’elle se fera naturellement. Contrairement à la crise généralisée et systémique de , qui a été longue à résoudre, la crise actuelle sera plus dramatique à court terme, mais son devenir sera différent. Quand j’ai travaillé à Médecins sans frontières, j’ai assisté à un certain nombre de guerres et d’épidémies. Et, à chaque fois, j’ai été surpris de la vitesse avec laquelle les événements graves sont oubliés, du désir frénétique de revivre comme avant et même plus qu’avant. Je peux me tromper, mais je crois que la sortie de crise sera rapide : l’économie reflète les besoins certes, mais surtout l’appétit et les désirs des gens. La volonté de vivre et de voyager devrait revenir plus vite que dans d’autres crises. Mais je ne prétends pas détenir la vérité.
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La panique n’est pas forcément mauvaise conseillère”