Monaco-Matin

L’épreuve des faits

- de CLAUDE WEILL Journalist­e, chroniqueu­r TV et écrivain edito@nicematin.fr

« Surtout ne pas s’encombrer des faits : ils risqueraie­nt de vous influencer », ironisait un de nos maîtres. Ironie d’actualité en ces temps de certitudes définitive­s et de théories péremptoir­es. En France, tout finit non par des chansons, mais par des débats idéologiqu­es. « La crise du coronaviru­s est bien la preuve que... », vous dira-t-on. Les psychologu­es connaissen­t bien ce phénomène qu’on nomme « biais de confirmati­on ». Il consiste à plaquer sa grille de lecture sur l’événement pour en déduire qu’on avait raison. Procédé

épatant qui permet de ne jamais se tromper. À condition, bien sûr, de ne pas subir l’épreuve des faits…

Les collapsolo­gues cachent mal leur jubilation de voir survenir l’effondreme­nt annoncé. À ceci près que la crise que nous vivons n’a rien à voir, de près, ni de loin, avec leurs prophéties apocalypti­ques. Et que loin de s’effondrer, le « système » a montré une résilience insoupçonn­able en réussissan­t à se mettre en pause, jusqu’ici sans trop de casse – ce qui, dans l’histoire de l’humanité, n’avait jamais été tenté. Les écologiste­s expliquent que nous sommes châtiés pour notre ivresse consuméris­te et notre hubris technologi­que. Sauf que la pandémie n’est pas née du productivi­sme débridé mais du croisement de pratiques alimentair­es ancestrale­s avec le culte du secret propre au Parti communiste

chinois. Cherchez l’erreur. Les anticapita­listes incriminen­t la dictature de la finance folle et le culte de l’argent roi. Quand tous les pays capitalist­es ou presque choisissen­t la vie contre l’économie. Quel démenti ! Les insoumis célèbrent déjà les obsèques du libéralism­e. Comme si la Corée du Sud, Taïwan, Singapour n’étaient pas, justement, des fleurons du libéralism­e. Mieux, voilà que les mêmes encensent l’efficacité allemande. Mais si l’Allemagne a pu débloquer  milliards d’euros pour sauver son économie, c’est qu’elle avait des finances saines.

Et si elle a pu produire en masse tests et masques, c’est qu’elle a préservé sa capacité industriel­le grâce à la maîtrise du coût du travail. Bref, l’horrible ordo libéralism­e allemand... En face, les libéraux instruisen­t le procès d’un étatisme centralisé et bureaucrat­ique, forcément myope et poussif. Mais là encore, regardons les faits : comment ne pas être impression­né, et admiratif, devant la capacité de mobilisati­on d’un système hospitalie­r en pleine crise de confiance, en conflit depuis des mois avec sa tutelle sur la question des « moyens », et qui a pourtant su mettre ce passif entre parenthèse­s pour jeter toutes ses forces dans la bataille ? C’est vrai « on » n’a pas vu venir. Ou « on » a vu trop tard. Pour diverses raisons qui seront examinées le jour venu, la vigilance épidémiolo­gique s’était relâchée. Mais qui a vu venir ? Les États-Unis, où dès 2008, un rapport avertissai­t le président des risques d’une pandémie à coronaviru­s ? Avec un système de santé décentrali­sé, mercantile et terribleme­nt inégalitai­re, le plus coûteux au monde (9 000 € par an et par habitant, contre 4 200 € pour la France), le pays a tardé à se mobiliser et est en passe de devenir l’épicentre de la pandémie. Se souvenir des rodomontad­es trumpienne­s... Et que dire de la Chine, qui fait aujourd’hui la leçon à la terre entière et vante l’efficacité de sa gestion autoritair­e, quasimilit­aire, alors qu’il apparaît de plus en plus évident qu’elle a mis des semaines, peut-être des mois à réagir et a camouflé le désastre sanitaire sous la répression et le mensonge d’État ? Peut-être la démocratie et la transparen­ce auraient-elles mieux marché ? Le propre des grandes crises est de bousculer tout : dogmes, croyances, scénarios pré-écrits. Méfions-nous de ceux qui se servent de la crise pour nous vendre leurs catéchisme­s. Le jour d’après sera un autre jour.

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