Monaco-Matin

Pierre Thébaut,  ans : d’une « guerre » à l’autre

Huit décennies après la Seconde Guerre mondiale, les souvenirs perdurent parmi les survivants. Mais si « nous sommes en guerre » contre le virus, peut-on vraiment comparer ?

- ALEXANDRE PLUMEY aplumey@nicematin.fr

Nous sommes en guerre ! » L’anaphore présidenti­elle a marqué les esprits le 16 mars. Une guerre, non contre un ennemi physique comme en 1939, mais face à un virus. Paisible retraité au Muy (Var) depuis une vingtaine d’années, Pierre Thébaut (92 ans) a vécu depuis sa Bretagne natale le second conflit mondial. Commerces fermés, réquisitio­ns, pénuries, exode, communicat­ion, hôpitaux et gestion des malades : le nonagénair­e compare ces deux époques.

L’annonce

En 1939 à Dinard (Ille-et-Vilaine). « Nous étions une région très religieuse, alors on a très vite reconnu que le tocsin n’était pas le même qu’habituelle­ment. Il annonçait la guerre. C’est ainsi que nous l’avons appris dans un premier temps. » En 2020, devant la télévision. « Le Président a employé le mot “guerre”, donc à partir de là, il faut tout mettre en oeuvre pour la terminer. Absolument tout. C’est à ce moment qu’il a vraiment impacté la population. Alors qu’en 39, quand les tocsins ont sonné, les réserviste­s avaient été rappelés depuis deux jours à la caserne. »

Les équipement­s

« Au bout d’un ou deux jours, un appel a été lancé sur une pleine plage dans le journal local pour (inciter) les femmes disposant d’une machine à coudre à se faire connaître pour fabriquer des vêtements, selon des patrons prédéfinis. C’est un peu pareil avec les masques aujourd’hui. » Pris de court par l’événement ? « C’était déjà le cas à l’époque. »

Les déplacemen­ts

Lorsque Pierre Thébaut a vu les images d’un TGV médicalisé mobilisé pour transférer des victimes, il s’est d’abord souvenu de son enfance. Lorsque, depuis un pont à 50 mètres de la maison familiale, il voyait débarquer les wagons verts siglés du logo de la Croix-Rouge sur le toit et les vitres. « La gare terminus était à 200 mètres, donc ensuite on observait les ambulancie­rs répartir les malades en voiture ou sur des brancards. » Devant sa télévision, autre sentiment : « C’est du bricolage en fait. Les brancards vont être posés sur les sièges déjà existants dans les TGV. À l’époque, les wagons étaient vraiment aménagés pour cela. Un peu comme les avions de l’armée que l’on a vu [l’opération Morphée] .»

L’exode

En 2020, l’exode des Francilien­s vers la province a été pointé du doigt. En 1940, « après la capitulati­on, on a vu arriver tous les Parisiens. J’ai même été en cours avec Serge Gainsbourg pendant quelque temps, vu que son papa était pianiste au casino de Dinard. Au début de l’Occupation, ils sont venus ici et j’étais à l’école avec lui et ses deux soeurs. »

Les consignes

Aujourd’hui, les modes de communicat­ion inondent les foyers. Ne pas se tenir au courant de la situation relève plus de la volonté que de l’impossibil­ité. Pendant la guerre, « on lisait tous le journal, car tout le monde n’avait pas la radio et encore moins la télévision. Nous avions des postes de

TSF au coin des rues où nous allions voir le tableau d’affichage à la mairie. On nous répétait de ne pas toucher aux bonbons et aux stylos largués en avion par les Allemands, car ils étaient empoissonn­és ou explosifs. Ça ressemble un peu aux gestes sanitaires préconisés aujourd’hui. »

L’entraide

Si l’entraide existe envers des voisins soignants ou plus âgés, allant pour certains jusqu’à mettre à dispositio­n du personnel médical des logements pour les rapprocher des hôpitaux ou pour éviter la contaminat­ion des proches, la solidarité se manifestai­t aussi à

l’époque : « Je me souviens que dans une grande villa qui n’était habitée que l’été, à côté de chez mes parents, des médecins venus spécialeme­nt étaient accueillis. Le mien était réserviste. D’un jour à l’autre, il a enfilé son uniforme de colonel pour prendre la direction de tous les hôpitaux du coin. »

Les commerces

« Contrairem­ent à aujourd’hui où tout est fermé, les commerces n’avaient pas baissé le rideau. Lorsque nous n’étions pas en zone de conflit, la vie continuait globalemen­t normalemen­t. Les coiffeurs étaient encore ouverts, les restaurant­s et les cafés aussi… sauf si le gérant était appelé au front. »

Les finances

« Lorsque mon père est parti au front, maman est restée avec ses trois enfants et la seule pension militaire de papa pour vivre… » Ces paroles font écho à la situation économique du pays, en ces temps de confinemen­t où le chômage partiel ou total menace. « J’entends le gouverneme­nt annoncer des mesures pour sauver l’économie ; il a raison. Mais si je compare avec ‘‘notre guerre”, durant l’effort, c’était plus à nous de donner à la France que l’inverse. Notamment avec l’emprunt national, par lequel on pouvait financer la guerre sur nos deniers. » Notre « effort national », en 2020, se résume pour l’instant à rester chez soi… et à consommer un peu plus intelligem­ment pour sauver l’économie.

 ??  ?? Depuis son jardin varois, qu’il ne quitte plus en ces temps de confinemen­t, Pierre Thébaut se souvient de la guerre de  et compare avec la situation actuelle. (Photo Sophie Louvet)
Depuis son jardin varois, qu’il ne quitte plus en ces temps de confinemen­t, Pierre Thébaut se souvient de la guerre de  et compare avec la situation actuelle. (Photo Sophie Louvet)

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